Rapport sur la limite nordique des forêts attribuables: une histoire à suivre…
Le 16 octobre dernier le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs du Québec (MFFP) rendait publics trois rapports concernant l’aménagement des forêts québécoises. Trois rapports qui pourraient avoir une influence importante sur leur aménagement, mais qui n’ont absolument pas été mis en valeur malgré leur intérêt (chronique). Pour compenser cette sous-visibilité, je vais dédier une chronique à chacun des rapports; pour aujourd’hui, celui du Comité scientifique chargé d’examiner la limite nordique des forêts attribuables (pour lesquelles on peut « attribuer » du bois)
Le Rapport du Comité scientifique sur la limite nordique des forêts attribuables, co-présidé par deux chercheurs reconnus, soit messieurs Yves Bergeron et Robert Jobidon, comporte 148 pages, de très nombreuses Figures et 6 annexes (page web dédiée). Si le rapport a une approche très scientifique (détaillée plus loin), ses implications politiques sont toutefois potentiellement énormes. À l’enjeu: le relèvement ou l’abaissement de la limite nordique d’attribution des bois de la forêt publique. Le débat politique associé à cet enjeu met en opposition la préservation de la biodiversité (caribou forestier) avec de nombreux emplois dans le milieu forestier. Une première limite avait été fixée en 2002 (voir carte synthèse plus bas) et le Comité actuel fut chargé en 2005 de réévaluer les justifications scientifiques de cette délimitation.
La tâche fut colossale, car peu de données étaient disponibles sur une grande partie du territoire à l’étude, soit au nord de la limite existante (carte synthèse plus bas). Le Comité dût donc procéder à la cartographie du territoire à l’aide d’images satellitaires et de photos aériennes. De l’inventaire sur le terrain compléta le travail. Cette tâche prit 5 ans à elle seule! Une carte unifiée fut créée avec les données au sud et au nord de la limite actuelle pour aboutir à une cartographie d’un territoire de 482 000 km2. L’analyse pouvait alors commencer.
Le Comité a basé son étude sur l’analyse de 1114 districts écologiques. Il n’est pas aisé de vulgariser une description des districts écologiques. Je vais donc m’en tenir à la définition officielle qui s’exprime ainsi: portion de territoire caractérisée par un pattern propre du relief, de la géologie, de la géomorphologie et de la végétation régionale. À retenir: ce sont des unités dont les délimitations sont très stables dans le temps. Pour ceux (ou celles) désirant en savoir plus: la classification écologique du MFFP.
C’est là un aspect de ce rapport dont il faut être conscient: des trois rendus publics le 16 octobre, c’est le moins accessible au « grand public ». Le texte se lit bien, mais il faut garder à l’esprit qu’il est issu d’un comité « scientifique » de haut niveau et cela transparait nécessairement dans le rapport.
Chaque district fut analysé sur la base de critères et indicateurs définissant la « durabilité » dans l’aménagement des forêts. À chaque indicateur étaient associé un « seuil de passage » et/ou un « seuil de sensibilité ». Le processus d’analyse a suivi un patron logique qui a commencé par l’analyse du milieu physique pour finir avec un critère de biodiversité spécifique au caribou forestier (Tableau ci-dessous).
Toute cette analyse visait à répondre à la question-clé suivante:
Est-ce qu’un district écologique donné (ou un ensemble de districts) peut être soumis à un aménagement forestier qui soit durable, connaissant les conditions propres au milieu physique, à la productivité, au risque de feu et à la biodiversité? (p.69)
Au final, les districts furent classés selon trois niveaux de sensibilité associés à une principale recommandation (au total, le Comité a proposé 13 recommandations), soit:
Le résultat cartographique de cette analyse de 1114 districts écologiques est le suivant:
Et donc, la conclusion est… (petit roulement de tambour)
Et bien, il n’y a pas de clair résultat (désolé)! Comme vous pouvez le noter sur la carte, il y a des zones potentiellement « perdantes » et d’autres « gagnantes ». Le Comité n’a pas cherché à quantifier quelles seraient les conséquences d’une application intégrale de leurs recommandations. Ce n’était de toute façon pas leur mandat. De plus, le MFFP n’ayant fait aucune déclaration officielle, je me garderai donc de toute conclusion formelle!
La seule réaction « à chaud » au rapport que j’ai trouvée fut du côté de Greenpeace. Il est de fait plutôt étonnant de ne pas avoir eu plus de réactions pour un rapport aussi attendu. Sans vouloir trop spéculer sur les raisons en arrière de ce fait, il faut mettre en perspective que ce rapport ne constitue qu’un regard sur l’enjeu de la limite nordique et que la balle est maintenant dans le camp du « politique ». Une balle qui pourrait prendre du temps à rebondir considérant le peu d’enthousiasme avec lequel le MFFP a diffusé ce rapport! Pour l’instant, la « limite nordique des forêts attribuables » reste donc une histoire à suivre…