Mont Kaaikop: suivre la procédure ne sera pas la solution
Le hasard fait parfois bien les choses… Alors que le dossier du mont Kaaikop apparaissait sur les écrans radars de l’actualité, mon ancienne collègue de laboratoire de recherche développait ses chroniques sur l’acceptabilité sociale (c’est vraiment un hasard, nos premiers contacts pour collaborer datant de l’été 2013). Deux parfaites chroniques sur lesquelles m’appuyer pour vous présenter et analyser ce dossier d’acceptabilité, ou plutôt d’inacceptabilité sociale.
Le mont Kaaikop, c’est l’histoire d’un projet de récolte forestière de 180 hectares piloté par le ministère des Ressources naturelles (MRN) depuis 2011 et qui devait servir cet hiver à l’approvisionnement de deux scieries au nord de Montréal. Le hic, c’est que ce mont représente aussi une manne touristique pour la municipalité de Sainte-Lucie des Laurentides par le biais d’activités de récréation (randonnée, raquette…) et il est apparu que les participants à ces activités n’appréciaient guère l’idée même de coupes forestières. Un conflit éclata et connut un dénouement provisoire le 31 janvier dernier alors que, fait exceptionnel dans le monde forestier québécois, la coupe prévue pour cet hiver fut suspendue par une juge de la Cour supérieure en attendant que la cause soit entendue sur le fond.
Dans cette chronique, je vais m’attarder à démêler ce dossier qui, de l’opinion même de la juge impliquée, a connu un cheminement fort confus et dont la leçon à tirer pourrait être qu’une procédure rigoureusement suivie n’est pas synonyme d’acceptabilité sociale.
L’histoire en résumé
L’histoire commence en 2011 alors que les officiers du MRN planifient la récolte pour l’hiver 2013-2014 qui implique le mont Kaaikop. Il faut ici mettre en contexte que nous sommes dans une phase de transition dans la politique forestière; la Loi sur l’aménagement durable des forêts avait été adoptée un an auparavant, mais ne prendrait pleinement effet que le 1er avril 2013.
Suivant la procédure des consultations publiques associées aux plans d’aménagement, le MRN émit un avis public en mars 2011 à l’intention de quiconque souhaiterait commenter les plans. Cela n’était pas détaillé dans le jugement, mais au moins une consultation publique a dû être tenue (obligation légale). Un avis fut spécifiquement envoyé à la municipalité de Sainte-Lucie des Laurentides qui ne réagit pas.
Des coupes prévues en 2011 ayant été reportées, les plans de l’hiver 2013-2014 furent modifiés et une nouvelle consultation publique impliquant le mont Kaaikop fut mise en branle selon la même procédure. Trois rencontres publiques furent organisées qui attirèrent peu de monde. La municipalité ne réagit pas plus qu’en 2011.
Ce n’est qu’en 2013, soit deux ans après les premières consultations, que la municipalité et les différents usagers du mont Kaaikop réaliseront que des coupes visent le mont et que le dossier « explosa ». Si les consultations publiques officielles n’avaient donné que peu de commentaires, une pétition pour s’opposer aux coupes aura tôt fait de récolter plus de 7 000 signatures.
Mais avant d’en venir aux tribunaux, il y eut plusieurs rencontres et l’activation d’un processus de règlement des différends qui amena la municipalité devant la Table locale de gestion intégrée pour l’Unité d’aménagement forestier (UAF) dans laquelle se retrouve le mont Kaaikop. Ces Tables sont issues de la nouvelle politique forestière et regroupent les différents usagers (industrie, récréation, trappeurs…) d’une UAF en vue de faciliter l’harmonisation des usages. S’il y a aussi des représentants municipaux à cette Table, la municipalité de Sainte-Lucie des Laurentides n’en est en elle-même pas membre.
Un comité ad-hoc fut formé avec des membres d’une Commission régionale qui chapeaute la Table (pour les amateurs de structure organisationnelle, voir la Figure plus bas). Les différents acteurs dans ce dossier furent entendus à huis clos par ce comité; une façon de procéder singulière estima la juge. Cinq acteurs du dossier témoignèrent en faveur d’un moratoire, un (la scierie) plaida en faveur de la récolte et un se déclara neutre. Conclusion: le comité recommanda (malgré tout) au MRN d’aller de l’avant avec la coupe avec mesures d’atténuation.
À la source du problème
Dans ce type d’histoire, le défi est de séparer l’anecdote du fond de la question pour comprendre pourquoi les choses ont mal tourné.
Tout d’abord, si les consultations de 2011 et 2012 se sont faites dans les règles, dans les faits il n’était pas clair du tout que les secteurs de coupes allaient toucher le mont Kaaikop, d’où la passivité de la municipalité par rapport à la consultation publique. En fait, selon les preuves déposées au Tribunal, les mots « coupes de bois » n’étaient même pas présents dans les documents. Comment espérer alors que des gens réagissent s’ils ne peuvent comprendre que la récolte va toucher leur territoire? Comme mentionné dans cette chronique, l’acceptabilité sociale c’est en amont que ça se passe et la première étape consiste à bien identifier les groupes concernés par un projet. Lorsque l’on est devant les tribunaux, c’est trop tard! Il est à cet égard un peu surprenant que les aménagistes régionaux du MRN n’aient pas pris conscience du potentiel explosif de la situation. Ils avaient noté dès le départ la présence de sentiers de motoneige dans le secteur du mont Kaaikop et l’on s’attendrait à ce qu’ils connaissent bien les sensibilités régionales.
La précédente chronique nous a aussi rappelé que les valeurs des forestiers quant à l’aménagement forestier étaient différentes de celles du grand public avec pour conséquence que ces premiers ne pouvaient se substituer aux seconds pour évaluer l’acceptabilité sociale. Dans le cas qui nous occupe, sans aller à dire que les forestiers du MRN se sont « substitués » au public, il est clair qu’en ne présentant pas clairement les choses dès le départ, ils ont failli à leur devoir moral pour aller chercher l’acceptabilité sociale. Même si tout a été fait dans les règles.
Mais l’analyse la plus sévère sur les failles du système est venue de la juge. Tout d’abord, elle s’est questionnée sur la portée des consultations publiques qui accompagnaient les plans:
Les réunions tenues semblent être des réunions d’information plutôt qu’une réelle consultation. (point 66 du jugement)
[…]
Est-ce que la consultation sur les plans d’aménagement est le forum approprié pour que la Municipalité puisse faire ses représentations? Même après deux jours d’audience et de questions posées au Ministère, le Tribunal l’ignore encore. (point 85 du jugement)
Plus loin (point 92), concernant le processus de règlement des différends et le comité ad-hoc qui en a résulté:
Avec le recul, l’échec de la municipalité dans ce processus était prévisible: il n’est pas clair que ce qu’elle demande relève même d’un tel comité puisque la Municipalité n’est pas membre de la Table locale et que le mécanisme vise à régler les différends qui surviennent entre les parties à la Table locale.
En bref, les deux mécanismes mis en place par le MRN pour assurer l’acceptabilité sociale de l’aménagement forestier se sont avérés inadaptés pour répondre aux enjeux d’une municipalité.
Des leçons à tirer
Nous en sommes donc là. D’un côté le processus judiciaire suit son cours et d’un autre côté le politique entre en jeu alors que des opposants à la coupe rencontraient hier la ministre des Ressources naturelles. De leur côté, les travailleurs forestiers à qui le MRN avait promis la coupe et envers qui il avait un contrat moral de régler le défi de l’acceptabilité sociale sont restés « en plan ».
Plusieurs éléments du dossier sont assurément le fruit de l’inexpérience du MRN par rapport à un nouveau rôle, mais il n’en reste pas moins que l’analyse de la juge est inquiétante pour la suite des choses et pas seulement pour la région des Laurentides. Le problème de fond vient d’une propension à trop se fier à la « procédure »; le MRN invoqua d’ailleurs pour sa défense qu’il avait suivi la procédure prévue au Manuel qui encadre les consultations publiques. Et il faut le répéter: tout a en effet été fait selon les règles dans ce dossier. Et pourtant…
C’est là un thème récurrent de mes textes: le manque de responsables clairement identifiés dans l’aménagement de nos forêts publiques. Comme c’est trop souvent le cas, la responsabilité a été déléguée à… la procédure. Aussi bien dire personne.
Or, dans le domaine de l’acceptabilité sociale, il n’y a pas une deuxième chance de faire une bonne première impression et il est clair que dans la région des Laurentides, le MRN n’a pas fait bonne figure dans ce dossier. Et le fait qu’il y ait une nouvelle Politique de consultation en gestation ne rassure pas a priori pour la suite des choses. Cela prendra plus qu’une nouvelle procédure pour relever le défi de l’acceptabilité sociale dans l’aménagement des forêts publiques du Québec.
Références
Le jugement (très instructif et pas du tout aride à lire)
(Quelques articles selon un ordre chronologique)
Mont Kaaikop: Génèse d’un conflit
Mont Kaaikop: des citoyens demandent de surseoir aux coupes forestières
Mont Kaaikop: les coupes autorisées à la veille du procès
Mont Kaaikop: 3,5 millions en jeu pour la scierie
Mont Kaaikop : pas de coupe, tranche la cour
Le ministère des Ressources naturelles rappelé à l’ordre