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Le 31 janvier dernier, s’est tenu un colloque de l’OIFQ (Ordre des Ingénieurs Forestiers du Québec) sur le thème de la gestion intégrée forêt-faune. Un colloque dont la perspective a suscité mon enthousiasme, car avant mon doctorat ma carrière professionnelle était très orientée « forêt-faune ». C’était donc comme retrouver des premières amours! L’enthousiasme qui m’animait tout au début s’est cependant changé en perplexité au fur et à mesure que la journée avançait.
Au départ, je me suis demandé si cette impression était due au fait que je n’avais pas lu les « petits caractères » décrivant le colloque. J’étais venu dans l’esprit de mettre à jour mes connaissances, mais dans les faits le colloque était axé sur la présentation de projets d’un programme de subventions de la Fondation de la faune (site internet de la Fondation pour les détails). Cela donnait un caractère beaucoup plus « spécifique » à cette journée que je ne l’imaginais au départ. Toutefois, j’ai pris conscience que le caractère « spécifique » de cette journée n’avait que peu à voir avec ma « perplexité »: ce qui nous était présenté correspondait à la nouvelle réalité du monde forestier québécois d’aujourd’hui.
Premier et grand constat de la journée : ce colloque aurait pu s’intituler « La machine est mon amie ». Pendant l’essentiel de la journée, j’ai eu l’impression d’assister à un colloque informatique plutôt qu’à un colloque de gestion intégrée forêt-faune. Les différents organismes liés à la faune (pourvoiries, ZECs …) qui se sont succédé ont présenté les résultats des « outils d’aide à la décision » qu’ils avaient développés via le programme de la Fondation de la faune. Et ici « outils d’aide à la décision » est synonyme de logiciel informatique. J’en ai donc beaucoup appris sur la nécessaire compatibilité avec ArcGIS 10 et sur le fait que l’analyse de la forêt sur la base de carrés représentait un progrès par rapport à l’analyse avec des hexagones. Moment « symbolique » de cette journée : une diapositive qui nous présentait le menu d’un logiciel!
Petit retour en arrière… Il y a quelques années, il y a eu à Québec un colloque sur la possibilité forestière organisé par le Bureau du forestier en chef. Malgré le temps qui s’est écoulé depuis, je me souviens très bien de la phrase qui s’était inscrite dans mon esprit pour résumer ce colloque : « Woodstock: un logiciel pour les gouverner tous » (les amateurs du Seigneur des Anneaux comprendront…). Ma conjointe m’avait fait remarquer que la suite de cette formule incluait : « […] et dans les ténèbres les lier ». Sur le coup, cela m’avait donné froid au dos, mais, en y pensant, cela cadrait bien avec mes sentiments. Et la place de l’informatique dans notre foresterie n’a pas diminué depuis.
Malgré tout, et c’est la conclusion à laquelle je suis arrivé durant le colloque dont il est question dans ce compte-rendu, la surinformatisation, surmodélisation de notre foresterie est une excellente nouvelle. Vraiment. Il y a eu récemment un fait divers qui mettait « en vedette » un développeur informatique d’une compagnie américaine qui sous-traitait son travail en Chine pendant qu’il passait ses journées à écouter des vidéos de chats (entre autres)… Et son travail était très apprécié! On devrait s’en inspirer. Considérant que notre foresterie est en train de devenir un grand modèle informatique et que nous voyons la forêt seulement par le biais d’un écran d’ordinateur, nous pourrions sous-traiter notre foresterie en Chine. Non seulement il y a de bonnes chances que l’on fasse quelques économies, mais on pourra profiter de nos temps libres pour retourner en forêt et se reconnecter avec cet écosystème. Et ça, ce serait vraiment une excellente nouvelle.
Deuxième constat, la politique forestière en voie d’être mise en place apparaît créer une foresterie de groupes d’intérêt plutôt qu’une vision « intégrée ». Le symbole le plus frappant de cette tendance fut assurément le cri du coeur de M. Pierre Lefebvre, figure incontournable des ZECs depuis plus de deux décennies, qui en fin de colloque déplora que le monde de la faune ne fût plus uni comme il l’avait déjà été il n’y a pas si longtemps. En cause, les Tables de Gestion Intégrée des Ressources et du Territoire (Tables GIRT) mises en place par la nouvelle politique d’aménagement des forêts publiques. Les Tables GIRT agissent en forum de consultation pour l’aménagiste (le gouvernement à partir du 1er avril) et sont composées de différents organismes (municipalités, pourvoyeurs, industriels forestiers…) ayant un intérêt dans l’aménagement d’une forêt donnée. Et selon ce qu’il a été possible de comprendre, pour les organismes fauniques qui ne sont qu’une voix parmi tant d’autres, cette formule amène chacun à défendre son territoire plutôt que d’avoir une vision d’ensemble.
Troisième constat, l’aménagement écosystémique ne viendra pas au secours des acteurs fauniques. C’est M. Louis Bélanger (professeur — Université Laval) qui est venu nous éclairer sur le fait que, de façon « stricte », la faune n’est pas prise en compte dans notre stratégie d’aménagement écosystémique. Même s’il a pris le temps de mentionner plusieurs initiatives liées à la faune, il a rappelé que l’aménagement écosystémique, tel que défini au Québec, vise avant tout à réduire les écarts entre la forêt aménagée et la forêt naturelle. Ce n’est pas une logique qui s’attarde à l’habitat d’espèces particulières. M. Bélanger a cependant apporté de l’espoir aux pourvoyeurs, ZECs (…), en précisant que dans une perspective d’habitats fauniques, l’aménagement écosystémique était une hypothèse; une hypothèse « raisonnable », mais qu’il convenait de valider. D’où la motivation de s’attarder à des espèces individuelles qui pouvaient avoir de plus l’intérêt d’être des représentantes pour l’habitat d’autres espèces.
Ici, il est bon de faire une petite parenthèse pour faire un lien avec l’histoire récente des Planning rules, soit les règles qui encadrent la production des plans d’aménagement des Forêts nationales américaines. C’est justement parce que la logique de se baser sur la forêt naturelle ne garantissait pas qu’une espèce donnée pouvait voir son habitat mis en valeur, être préservé, qu’un juge avait invalidé cette version des Planning rules (chronique). Plutôt que de contester, le USDA Forest Service a produit une nouvelle version qui tient beaucoup plus compte d’espèces individuelles, que ce soit des espèces « vedettes » (ex. : l’original au Québec) ou des espèces avec un intérêt plus local (chronique).
Donc, pour les trappeurs, pourvoyeurs (…), il y a un grand défi de se faire entendre dans un contexte où ils ne sont qu’une voix parmi beaucoup d’autres, et ce, dans une stratégie d’aménagement (écosystémique) qui ne prend pas en compte leur intérêt de façon « stricte ». Leur approche pour se faire entendre a été de se mettre à parler le « langage MRN » (Ministère des Ressources naturelles); un langage qui donne énormément de place à l’informatique, en particulier le logiciel Woodstock pour le calcul de la possibilité forestière. Je ne peux les blâmer. Toutefois, si au cours de ce colloque mes compétences informatiques se sont améliorées, celles sur l’aménagement intégré forêt-faune ont peu évolué.
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