Le Rendez-vous de la forêt québécoise ou la continuité dans l’infantilisation de ce monde forestier
Les 21 et 22 novembre dernier se tenait à St-Félicien le Rendez-vous national de la forêt québécoise. Organisé par le ministère des Ressources naturelles, ce Rendez-vous réunissait autour de la même table les différents groupes d’intérêt (industrie, syndicats, groupes environnementaux…) liés à la forêt. L’objectif principal de cette rencontre était de marquer un « nouveau départ » pour le monde forestier et plus spécifiquement l’industrie. La présence d’une cohorte de ministres dont la première ministre pour toute une journée (c’est à noter) et des enveloppes budgétaires pour plaire à tout le monde ont fait de cet évènement un incontestable succès politique. Faut-il pour autant parler d’un « nouveau départ »? J’opterais plutôt pour un « éternel recommencement » doublé d’une infantilisation poussée. Explications.
Comme base à ma réflexion, je vais vous ramener pour quelques instants en Caroline du Sud (Carnets de voyage — SAF 2013), et plus spécifiquement à la visite d’une forêt d’une compagnie privée. Pour nous expliquer leur philosophie d’aménagement, le contremaître est revenu sur l’histoire de la compagnie en nous racontant qu’un jour les dirigeants avaient décidé de changer leur vision de l’aménagement de leurs forêts. Plutôt que de conserver une logique de production de volume pour leurs usines de pâte, ils ont décidé d’investir dans la production de valeur et alimenter plusieurs marchés du bois. Aujourd’hui, leur slogan (à l’interne) est de mettre le bon billot sur le bon camion, soit de s’assurer de maximiser la valeur de chaque arbre qui est coupé, ce qu’ils font 52 semaines par an. Aussi, le contremaître nous a parlé de certains de leurs opérateurs qui travaillaient pour la compagnie avant que lui même ne soit né! Il nous a fait comprendre que ça valait de l’or d’avoir des opérateurs qui connaissaient le terrain comme le fond de leur poche. Et tout ça, ils y ont réfléchi tout seuls. Maintenant, revenons au Québec…
Le tout premier thème de discussion s’intitulait Transformer l’industrie et développer les filières à fort potentiel. Pour ceux que le thème peut surprendre, « oui » il y a des industriels forestiers au Québec depuis un bon siècle. Mais il faut croire qu’ils n’ont pas appris à penser d’eux-mêmes. Ou qu’ils en ont perdu l’habitude. Quoi qu’il en soit, le gouvernement tenait à expliquer comment l’industrie devait se transformer et l’industrie apparaissait très heureuse de la chose. C’est pourquoi on va retrouver ces orientations dans le document associé à ce thème:
(p.2) Le gouvernement accueille positivement la demande du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) pour la mise en place d’un forum stratégique gouvernement–industrie [en gras dans le texte original] de haut niveau. […] Le gouvernement propose que, rapidement […] Le forum se penche, à court terme, sur : — l’avenir de l’industrie des pâtes et papiers; — la modernisation et la transformation de l’industrie forestière; […]
Un peu plus loin, il est mentionné (p. 6):
Tous s’entendent sur la nécessité d’investir dès maintenant dans la transformation de l’industrie et sur le caractère primordial de l’accès à la ressource à des prix compétitifs. L’industrie doit revoir sa structure de coûts afin d’améliorer sa compétitivité.
N’est-ce pas merveilleux d’avoir un gouvernement aussi attentionné envers son industrie? Il a même produit l’an dernier une Stratégie pour transformer l’industrie québécoise des produits forestiers (2012-2017). Plus besoin de penser, le gouvernement le fait à notre place! Personnellement, j’appelle plutôt cela une industrie émasculée. Rien qui annonce un « nouveau départ » ou un relèvement de notre fierté collective, un autre objectif de ce Rendez-vous.
Le deuxième thème de discussion était intitulé Adapter notre sylviculture afin d’optimiser le potentiel de nos forêts (le document associé). Un Chantier sur la production de bois a aussi été annoncé en lien avec cet enjeu.
Les seuls titres devraient vous inquiéter. On ne parle pas ici d’une société qui découvre l’aménagement forestier. On parle d’une société qui, en théorie, a une centaine d’années d’expérience en aménagement forestier. Une société dans laquelle il y a un Ordre des Ingénieurs Forestiers et qui devrait instinctivement comprendre les concepts de « production de bois » et « adapter notre sylviculture ». Il semble que non. C’est pourquoi il va y avoir en parallèle au Chantier un engagement « dans un virage sylvicole ». Pour avoir lu beaucoup de documents discutant de la problématique forestière, c’est là un engagement qui fait « Jour de la marmotte ». Pour ceux qui n’ont pas vu le film, simplement mentionner que c’est un enjeu récurrent d’au moins les quarante dernières années et c’était au cœur de la philosophie de la Loi sur les Forêts de 1987. Bref, c’est un xième « nouveau départ » sur cet enjeu.
Le document associé à ce thème présente lui aussi plusieurs perles. Je vous en présente une belle (p. 2):
Nos interventions doivent tenir compte des particularités forestières de chaque région et permettre de produire davantage de bois, à proximité des usines, provenant d’essences de qualité et appropriées aux besoins des entreprises de transformation.
N’est-ce pas extraordinaire comme réflexion? Comment ne pas y avoir pensé avant? Heureusement que l’aménagement écosystémique, qui philosophiquement implique que l’aménagement forestier et la sylviculture soient adaptés à la dynamique naturelle des écosystèmes forestiers, est au cœur de la nouvelle Loi…
Quant au Chantier sur la production de bois, son mandat, après avoir établi une stratégie nationale, va être d’Identifier les stratégies de production propres à chaque région. C’est ce que l’on appelle laisser place à l’initiative locale… J’ai déjà vu de meilleures raisons d’être fier.
Il y aurait plusieurs autres exemples à donner, mais je pense que vous avez compris l’idée. Et quel est le résultat de ce « maternage » gouvernemental de l’ensemble du monde forestier qui s’est mis en place au fil des décennies? La ministre l’a parfaitement illustré en étant fière d’annoncer que dorénavant la planification stratégique du gouvernement déterminant les secteurs d’intervention potentiels couvrirait une période de trois ans. Un siècle d’expérience (théorique) en aménagement forestier et voilà où nous en sommes dans notre vision stratégique à long terme…
Dans les archives d’un ancien concessionnaire forestier qui ont servi de base à mon doctorat, les plans « stratégiques » couvraient une période de 10 ans. C’étaient des plans tellement précis qu’un technicien qui a vécu cette époque m’a indiqué que chaque modification était très mal vue, car elle impliquait de repenser l’ensemble. De plus, ces plans étaient encadrés par une vision sur la durée d’une révolution. C’est pourquoi, pour donner un seul exemple, dans un document des années 1940 il y avait une réflexion sur la récolte dans les années… 2000. Pour tourner le fer dans la plaie, les aménagistes s’assuraient aussi que la distance de transport n’augmente pas avec le temps, et cela sans ordinateurs. Et aujourd’hui, on devrait être collectivement fiers d’avoir une planification stratégique sur trois ans…
Il ne faut alors pas se surprendre de la mise en place d’un Chantier sur les améliorations à apporter à la mise en œuvre du régime forestier qui aura entre autres comme mandat d’établir un bilan sur le processus de planification forestière. Très rassurant…
Pourquoi notre foresterie est-elle dans un si triste état? Mon explication. Depuis 40 ans, au nom du bien commun, le gouvernement s’est de plus en plus investi dans l’aménagement forestier et le contrôle de la forêt en général. Le monde politique étant toutefois ce qu’il est, si les gouvernements successifs se sont toujours entendus sur cette logique de fond, ils ont naturellement toujours voulu se donner le beau rôle par rapport au précédent Parti politique au pouvoir. C’est pourquoi en ouverture du Rendez-vous, on pouvait lire ce gazouillis (tweet):
C’est là un jeu entre le Parti Libéral et le Parti Québécois. Chacun veut mieux paraître que l’autre, mais ils poursuivent la même politique. Le gros problème, c’est qu’à l’exception d’un Denis Trottier (adjoint parlementaire pour les forêts), qui est un des rares politiciens vraiment amoureux de la forêt et avec des connaissances sur le sujet, la culture forestière de ces deux Partis politiques est, disons… « limitée ». Petit exemple avec toutefois de grosses conséquences potentielles.
Lors de sa toute première intervention au Rendez-vous, M. Philippe Couillard, Chef du Parti Libéral du Québec, a demandé solennellement, comme si c’était la question du siècle, à ce que l’on fasse la lumière sur le pourquoi la foresterie suédoise était plus productive que la foresterie québécoise. Que M. Couillard, le médecin, pose cette question, je n’ai aucun problème; c’est même avec plaisir que je lui aurais répondu. Que M. Couillard, Chef d’un Parti qui a été au pouvoir pendant près dix ans et qui a présidé à l’avènement de l’actuelle politique forestière pose cette question, je suis très découragé. Ce n’était pas là la « question du siècle », mais plutôt une question de niveau baccalauréat. Lorsque M. Couillard a eu sa réponse de la part de M. Beauregard (doyen de la Faculté de Foresterie à l’Université Laval), un gazouillis indiqua qu’il prenait des notes (j’ai suivi le tout par webdiffusion – le différé). J’espère qu’il a noté de changer ses conseillers en foresterie, car d’un point de vue forestier il est un peu inquiétant d’imaginer qu’il puisse devenir premier ministre avec l’encadrement qu’il a dans ce domaine. Mais c’est malheureusement là le reflet de notre foresterie depuis trop longtemps.
Si je pense à ce qui se passe en Caroline du Sud comparativement au Québec, j’ai l’impression de voir un monde forestier adulte et mature versus un autre encore aux couches (inutile de préciser qui est qui…). Le vrai « nouveau départ » du monde forestier québécois se fera le jour où un gouvernement décidera de faire un peu plus confiance à ceux qui vivent de la forêt et aux différents artisans qui l’aménagent. Quand il cessera de vouloir contrôler ce que tout un chacun doit penser. Quand il acceptera qu’il puisse y avoir des erreurs (un mot tabou en foresterie). Quand finalement il acceptera que le monde forestier devienne adulte. Et là, on pourra enfin penser (re)devenir collectivement fiers de notre foresterie.
J’ai moi aussi suivi les travaux à distance, par la webdiffusion. J’aurais pleuré comme un enfant si j’avais été sur place. Ce happening était un copier-coller du Sommet sur l’avenir du secteur forestier de décembre 2007. J’y ai moi aussi entendu les mêmes lieux communs, les mêmes envolées lyriques sur l’ère nouvelle qui s’ouvrait.
Depuis six ans, l’économie forestière s’est figée (en même temps que l’éclatement de la bulle immobilière aux USA). Et pour relancer l’industrie, ça prendra des entrepreneurs. Des gens qui auront le goût de prendre des risques et d’exploiter la ressource pour faire de l’argent, certes, mais aussi en se préoccupant aussi des bénéfices pour la collectivité. Il en reste quelques-uns. Je me demande où ils peuvent trouver l’énergie de continuer après tant d’années de morosité.
Je ne crois pas que le Rendez-vous suffira à créer de nouvelles vocations. Trop de promesses non tenues, ça finit par lasser.