Indonésie P.Q.
La grande mission de ce blogue est de garder les “antennes” ouvertes sur l’actualité forestière de l’extérieur du Québec pour mieux réfléchir à l’aménagement forestier d’ici. Les chroniques récentes que j’ai faites sur les enjeux internationaux des forêts tenaient beaucoup au caractère exceptionnel du dossier de The Economist. Donc, lorsque suite à ces dernières chroniques j’ai reçu un courriel (en français) d’une représentante d’Asia Pulp & Paper me référant à un rapport de Greenspirit Strategic Ltd concernant leurs travaux en Indonésie : 1- j’ai été très surpris et quelque peu flatté (mon blogue s’est rendu loin!), 2- indécis et inquiet : traiter une nouvelle fournie par l’industrie… je pouvais anticiper les tomates virtuelles sur mon blogue! 3- je ne connais pas l’Indonésie et faire des liens avec le Québec risquait d’être chose difficile voire impossible.
J’ai donc commencé par chercher à comprendre le dossier pour voir dans quelle mesure je pouvais “traiter” cette information (d’où un délai plus long pour produire cette chronique…). En résumé : il est question d’une compagnie papetière (Asia Pulp & Paper) accusée par des groupes environnementaux, Greenpeace en particulier, de détruire l’écosystème forestier indonésien qui est essentiellement sous juridiction publique. Remplacez le nom de la compagnie par AbitibiBowater et “indonésien” par “québécois”, et vous êtes en terrain très connu! De fait, la stratégie et les arguments de Greenpeace apparaissent fondamentalement les mêmes quel que soit l’écosystème : des images fortes (des coupes), une espèce animale menacée (le tigre de Sumatra, “notre” caribou des bois), un débat sur le bilan de carbone et une campagne axée sur le boycott par les clients de cette compagnie (pour plus de détails : Pulping the Planet et Empires of Destruction). Donc “oui”, il y avait certainement une chronique à faire et trois éléments sont ressortis du lot, soit : le constat de Greenspirit Strategic Ltd, la réaction d’Asia Pulp & Paper face à cette campagne et une petite réflexion sur notre perception du rôle de l’industrie forestière dans notre histoire. Je vais essayer d’être aussi “synthétique” que possible!
(Source : Wikipedia)
Difficile de parler du constat d’un rapport sans parler du groupe qui l’a produit. Greenspirit Strategic Ltd est une firme de consultant en communication spécialisée sur les questions environnementales. Installée à Vancouver, elle est menée par le Dr. Patrick Moore, co-fondateur de Greenpeace, organisme dont il ne partage à l’évidence plus la philosophie (note : Greenpeace fut aussi fondé à Vancouver). Mandatés par Asia Pulp & Paper pour juger de la durabilité de leurs opérations dans les forêts indonésiennes, ils n’ont accepté le mandat qu’à la condition de pouvoir, à toute fin pratique, faire ce qu’ils voulaient (sur terre et dans les airs) pendant leurs dix jours de terrain en Indonésie (ils ne partaient pas de zéro, ils avaient déjà de l’expérience avec l’Indonésie).
Leur principal constat m’a frappé car il s’est avéré le même que j’avais noté dans ma dernières chronique sur le dossier de The Economist : la plus grande menace pour les forêts tropicales humides est la pauvreté. Cela m’a ramené à la citation de M. Lula Da Silva que j’avais déjà notée dans la sus-nommée chronique (vive le repiquage…): “I don’t want any gringos asking us to let an Amazon resident die of hunger under a tree”. Et c’est là la critique fondamentale de ce rapport envers Greenpeace : ces derniers ne sont pas allés plus loin que leur seule vision environnementale. Et avec le recul, il m’apparaît que le rapport de Greenspirit Strategic Ltd n’est pas tant un rapport sur l’aménagement forestier d’Asia Pulp & Paper qu’un rapport sur la société indonésienne, son écosystème forestier et le rôle que peut jouer Asia Pulp & Paper. J’interprète leurs conclusions ainsi : oui, il y a des pertes de biodiversité dues au fait qu’il s’agit essentiellement d’une foresterie de plantation mais ces pertes sont acceptables car 1- les plantations représentent un pourcentage relativement faible de l’ensemble de l’écosystème (un peu plus de 3%, Greenspirit Strategic Ltd) et, surtout, 2- la situation serait bien pire si les dizaines de milliers d’employés (62 000 directs) qui travaillent pour Asia Pulp & Paper se retrouvaient au chômage demain, ils viendraient grossir les rangs de tous ceux qui brûlent la forêt pour se créer un lopin de terre (à ce sujet, voir la page 35 du rapport).
Mon deuxième point a trait à la réaction d’Asia Pulp & Paper face à Greenpeace comparativement à la réaction de notre industrie, à tout le moins comment je l’ai perçue. Comme mentionné en introduction, considérant que mon blogue est tout jeune et que, sans auto-flagellation, je ne suis pas une sommité dans le monde forestier, j’ai été très très surpris d’être contacté et m’être même vu offert la possibilité d’avoir une entrevue avec la porte-parole européenne d’Asia Pulp & Paper (offre que j’ai déclinée car je suis trop loin de mes sujets de compétence). Les rapports de Greenpeace ne datent que de 2010 et la compagnie est déjà en mode très actif de contrôle de son image. En comparaison, notre industrie a plutôt semblé déculottée et je n’ai pas vu l’équivalent du rapport de Greenspirit Strategic Ltd malgré que la campagne boréale de Greenpeace avait officiellement commencé en 2003 au Congrès forestier mondial de Québec (une entente est intervenue en 2010). Je ne sais pas si c’est une question de culture ou de dynamisme, mais on ne semble pas avoir à faire à la même industrie forestière (papetière en particulier).
Finalement, le rapport de Greenspirit Strategic Ltd m’a amené à réfléchir sur notre perception du rôle de l’industrie forestière dans notre histoire. Petite citation du rapport de Greenspirit Strategic Ltd:
“We often forget that many developed countries, including the United States, Canada and those in Europe built their high living standards on a foundation of natural resource extraction. In the past, those extraction processes were often environmentally damaging. Yet, given technological progress and today’s immensely better understanding of how to manage forests in an environmentally sound way, developing countries like Indonesia have the opportunity to “leapfrog” past mistakes and manage their forests to a world-class standard.”
L’image que nous avons de notre industrie et du rôle qu’elle a joué dans le développement du Québec est “plutôt” négative. Pourtant, la forêt est toujours là, on l’utilise pour une multitude d’usages et nous sommes une société très riche! J’entends souvent parler des “erreurs du passé” mais je n’entends jamais parler de la situation socio-économique du passé. Du contexte dans lequel l’industrie forestière s’est développée. Par exemple, on oublie que “de 1840 à 1930, 900 000 personnes [note : essentiellement des canadiens-français] ont quitté le Québec pour la république américaine” (Roby, Yves. 1990. Les franco-américains de la Nouvelle Angleterre 1776-1930. Éditions du Septentrion. 434 pp). Des émigrants dont les descendants sont aujourd’hui tous assimilés. Si vous êtes un politicien qui vit cette réalité et que vous avez l’opportunité de “garder votre monde” grâce à une industrie en croissance, vous la prenez! Au risque que l’on parle de vos actions comme “d’erreurs du passé”. Juger du passé ou de ce qui se passe de l’autre côté du monde sous l’angle d’une seule lorgnette est chose dangereuse. Et sans pouvoir juger de ce qui se passe réellement en Indonésie en terme forestier, je ne peux qu’avoir une sympathie pour sa population qui essaie d’atteindre une fraction de la richesse que nous avons.