FSC et forêts tropicales : les preuves restent à faire
Le Forest Stewardship Council (FSC) contribue-t-il réellement à un aménagement plus durable des forêts tropicales tant sur les axes environnementaux, que sociaux et économiques ? La question a un côté « provoquant »… mais elle n’est pas de moi ! C’est en fait le titre ( Does forest certification really work? ) d’une récente étude d’une journaliste scientifique et d’une chercheure postdoctorale pour le compte de Mongabay, un site d’actualités internationales en sciences environnementales. À souligner que si le titre de l’étude fait référence au concept général de la certification, dans les faits il est exclusivement question de la certification FSC.
Cette étude à démarche scientifique est une méta-analyse, soit une synthèse d’articles scientifiques comparant l’aménagement de forêts tropicales certifiées avec des forêts aménagées conventionnellement. Ses constats ont de quoi laisser songeur, car les deux coauteures ont entre autres noté que :
The scientific literature on FSC certification is currently poor.
et
Even though the FSC has been around for nearly 25 years, we found no studies that had looked at the long-term impacts of FSC certification.
En bref, la preuve scientifique que les forêts aménagées selon les règles du FSC contribuent à améliorer la durabilité de l’aménagement des forêts tropicales reste à faire. Plusieurs tendances positives sont bien associées à cette certification, mais elles ne restent que des tendances et elles touchent surtout les enjeux environnementaux et économiques. Sur les enjeux sociaux, les constats sont beaucoup plus contrastés.
Pour aujourd’hui, je détaillerai donc cette étude et conclurai avec une petite réflexion personnelle.
Un sujet difficile à étudier !
Les difficultés auxquelles ont eu à faire face les coauteures apparaissent dès la présentation de leur méthodologie alors qu’elles n’ont trouvé que 13 études comparant l’aménagement de forêts tropicales certifiées avec des forêts aménagées conventionnellement. Pour le contexte, leur recherche visait aussi bien les forêts tropicales en Amérique du Sud, qu’en Afrique ou en Asie… Donc, c’est vraiment très peu.
Pour cette raison, elles ont aussi retenu 27 autres études qui, à défaut d’avoir pour objet des forêts certifiées, étaient aménagées sous les règles du Reduced Impact Logging (RIL). Ces dernières consistent en une série de mesures visant à diminuer les impacts des opérations de récolte en forêts tropicales (pour en savoir plus). La logique d’inclure ces études fut basée sur le constat que les forêts tropicales certifiées FSC utilisent généralement les règles du Reduced Impact Logging. Dans les faits donc, cette méta-analyse fut basée sur 40 études, mais la majorité ne faisait pas spécifiquement référence à des forêts certifiées FSC. C’est naturellement une faiblesse, mais en même temps cela illustre bien les constats présentés en introduction. À souligner que six experts ont aussi été interviewés.
Ces 40 études ont été décortiquées en 31 variables réparties sous les trois grands axes du développement durable que sont l’économie, l’environnement et le social. Pour la petite note, le tout est synthétisé dans une superbe infographie interactive qui mérite le détour ! Ce sont ces trois grands axes qui ont orienté l’étude et les grandes lignes des résultats sont les suivantes :
Est-ce que la certification forestière est meilleure pour l’environnement ?
« Oui, en général (mostly). »
Par exemple, dans les forêts certifiées FSC (ou sous les règles d’opération RIL) on retrouve plus de couvert forestier, le sol est moins perturbé, il y a moins de chemins ainsi que de blessures aux arbres qui ne sont pas visés par la récolte.
Toutefois, et c’est un thème récurrent de cette méta-analyse, les auteures ont constaté que très peu d’études faisaient vraiment la preuve que ces résultats étaient le fait de la certification. Par exemple, l’aménagement forestier avant la certification n’était pas toujours documenté. Dans ces cas, il ne peut être exclu que l’aménagement se faisait déjà consciencieusement et que la certification n’ait fait que valider ce fait sans rien changer.
Est-ce que la certification forestière est meilleure pour les populations locales (people) ?
« Il n’y a pas assez de preuves pour l’affirmer (to say) »
Il s’agit de l’axe pour lequel les résultats sont à la fois les plus limités (six études) et mitigés.
Un exemple positif est détaillé concernant une compagnie qui avait perdu sa certification FSC au Congo et qui a dû, pour la retrouver, s’engager à construire des écoles et des cliniques (entre autres).
Dans d’autres cas toutefois, la certification FSC peut inciter les compagnies certifiées à restreindre l’accès d’une forêt aux populations locales qui vont, par exemple, y récolter des produits non ligneux. Le FSC implique de respecter la législation, mais parfois il peut y avoir des confits entre cette législation et des usages coutumiers généralement tolérés. Le FSC exigeant toutefois le respect des lois, dans ces cas la certification peut donc nuire aux communautés locales.
Il y a aussi tout le problème de la corruption et là les auteures admettent que c’est probablement un enjeu qui dépasse la certification forestière (FSC ou non).
Est-ce que la certification forestière est rentable pour les compagnies ?
« Pas encore ».
Un argument du FSC est que cette certification permet d’accéder à des marchés qui sont prêts à payer plus pour des produits récoltés sur une base durable. Cela s’est avéré avec quelques nuances.
Tout d’abord, vendre plus cher ne s’est pas révélé synonyme de faire plus de profits ; en cause ici les coûts associés à la certification FSC. Un aspect qui pourrait se régler sur le long terme (5 à 10 ans) une fois que les compagnies auront mieux optimisé leurs opérations pour faire face aux coûts supplémentaires occasionnés par la certification.
L’autre nuance est qu’il peut être nécessaire que la compagnie produise assez pour pouvoir exporter, ce qui n’est pas toujours le cas. Dans le cas par exemple du Brésil, qui est inondé de bois bon marché, mais bien souvent coupé illégalement, il est impossible de vendre localement un produit plus cher même s’il est certifié FSC. L’exportation vers les marchés internationaux est alors la seule avenue… si les compagnies peuvent se le permettre.
La question des coûts associés au FSC semblait assez préoccupante pour que les auteures concluent cette section en mentionnant que si les dépenses supplémentaires liées à la certification n’en venaient pas à être accompagnées de bénéfices qui les justifient, elle restera probablement marginale en forêts tropicales.
La déforestation
C’est là un enjeu de l’axe environnemental que j’ai choisi d’isoler en raison de sa dimension internationale et aussi parce qu’il était au cœur de ma précédente chronique 🙂
Les constats sont ici particulièrement décevants considérant, comme le rappellent les auteures, que la lutte à la déforestation fut une des principales motivations dans la création de la certification FSC. Or, non seulement il y a peu d’études qui se sont spécifiquement penchées sur cette question, mais celles qui s’y sont attardées arrivent à des résultats en demi-teinte (mixed and unclear). Par exemple, une étude au Mexique a comparé 64 forêts certifiées FSC avec des forêts non certifiées et aucune différence n’a été notée quant aux taux de déforestation. Il est cependant mentionné que les chercheurs n’étaient pas sûrs s’ils avaient bien réussi à mesurer les effets de la certification sur ce paramètre.
Réflexion personnelle
Le FSC mise beaucoup sur la science pour définir ses règles, mais prise dans son ensemble, c’est une certification qui reste à valider… scientifiquement. Dans cet article, il était avant tout question de forêts tropicales, mais je n’ai pas vu passer de preuves scientifiques de l’efficacité globale et sur le long terme du FSC dans nos latitudes.
Aussi, comme je le soulignais dans ma précédente chronique, les enjeux forestiers planétaires les plus criants (la déforestation en premier lieu) sont dans les forêts tropicales. Qu’après près de 25 ans d’existence il n’y ait pas de preuves solides que le FSC améliore globalement les choses dans ces forêts devrait être un sujet d’interrogation tant pour les dirigeants de cette certification que pour les aménagistes intéressés à se certifier.
Finalement, il est apparu évident à la lecture de cette étude qu’il y a de par le monde une trop grande diversité de conditions pour qu’une seule grande stratégie d’aménagement, exprimée par un seul programme de certification, soit un gage de succès dans l’aménagement des forêts tant sur les axes environnementaux que sociaux et économiques. À cet égard, la propension du FSC à vouloir exclure les autres certifications est manifestement malsaine. Sur le principe (et en faisant ici abstraction des coûts), il est plus logique de penser que c’est plutôt dans leur diversité et leur addition que les programmes de certification donneraient les meilleures garanties que l’aménagement d’une forêt réponde aux trois grands axes de la durabilité.
Remerciements
Mes remerciements à une coauteure de l’article, soit Mme Zuzana Burivalova, qui m’a autorisé à utiliser les superbes photos présentes sur son blogue !