Le FSC : « l’étiquette environnementale qui contribue à la déforestation de la planète »
[mise à jour le 11 mars: le lien YouTube ne fonctionne plus. Le lecteur qui m’en a fait part — merci! — en commentaire précise aussi comment le retrouver sur un équivalent russe de YouTube. Ça marche, mais comme j’ai un petit doute sur les droits (la référence YouTube était la chaîne ARTE), je ne mettrai pas le lien. J’ose espérer qu’ARTE le republie !]
Les guillemets sont là pour souligner que le titre n’est pas ma conclusion, mais celle des auteurs du reportage de la chaîne franco-allemande ARTE intitulé « FSC —Forest Stewardship Council: can an eco-label stop the forestry industry? » Ses auteurs ont fait le tour de la planète pour aller voir sur le terrain comment les choses se passaient réellement dans des forêts certifiées FSC. Sur les presque 1 h et 40 minutes que dure le reportage diffusé le 16 octobre dernier (en allemand, sous-titré en anglais), on est amené du Congo-Brazzaville au Pérou, au Brésil, au Cambodge/Vietnam pour finir dans la forêt boréale suédoise et russe. On assiste aussi à l’Assemblée générale du FSC qui s’est tenue à Vancouver en 2017.
J’ai associé le Cambodge et le Vietnam pour donner une mesure du travail de terrain dont on est témoin. Les reporters ont suivi des trafiquants de bois coupé illégalement du premier pays au deuxième. Du bois qui sera ultimement vendu « certifié FSC ». Et ça joue dur, un ancien contact des reporters et militant pour la protection des forêts au Cambodge ayant été abattu quelques années auparavant.
Je vous invite fortement à vous faire votre propre idée en écoutant le reportage. Toutefois, pour ceux et celles qui manqueraient de temps, je vous présente ci-dessous mes « moments forts » ainsi que la réaction de FSC International.
Pour revenir sur le titre, j’ai traduit le plus fidèlement possible la conclusion du documentaire. Je dois cependant préciser que les auteurs ont une interprétation très large du mot « déforestation ». Pour eux, c’est synonyme d’ouverture du couvert. Une coupe à blanc devient donc de la déforestation. Or, il convient de rappeler que la déforestation consiste à convertir une forêt en un autre usage (forêt -> agriculture, forêt -> autoroute…). Couper une forêt et s’assurer qu’une forêt repousse n’est pas de la déforestation. Une nuance qui n’est pas faite dans le reportage. C’est là mon principal bémol. Après, toutes les forêts de seconde venue ne se valent pas. Convertir une forêt diversifiée en une monoculture d’eucalyptus n’est pas équivalent à laisser la régénération naturelle prendre sa place.
Une des grandes qualités du reportage et que, même s’il a une approche critique, il donne à tous la chance de faire valoir leurs points. Peu la saisissent cependant. Dans la majorité des cas les reporters se frappent à des portes closes. Même s’il s’agit de compagnies dont l’aménagement est certifié FSC. En théorie, elles ne devraient rien avoir à cacher. Les journalistes ont même été arrêtés à une occasion et n’ont dû leur libération qu’à l’ambassade allemande !
L’organisme qui a le plus collaboré est (heureusement) FSC international. Son directeur général, M. Kim Carstensen répond stoïquement aux questions souvent très directes. Il n’y a qu’un cas où il m’a personnellement semblé troublé et qui donne une mesure des enjeux soulevés dans ce reportage.
Ce cas se passe au Congo-Brazzaville où les journalistes ont noté plusieurs « incongruités » dans la certification d’une forêt et souhaitent en discuter avec les auditeurs. Pour le contexte, le FSC établit les grandes règles à suivre, mais ce n’est pas lui qui va directement inspecter (« auditer ») les forêts. Ce sont des organismes tiers, certifiés par le FSC (mais indépendants de ce dernier) qui s’occupent de cette tâche.
Là encore, dans leur quête de rencontrer les auditeurs, les reporters se buttent à des portes fermées. Un seul auditeur, sous le couvert de l’anonymat, accepte de répondre. Il craint pour sa vie. Être certifié FSC est synonyme de grands enjeux économiques : cela ouvre les portes du marché européen. Dans le cas spécifique soulevé par les reporters, l’auditeur soutient avoir souhaité révoquer la certification, mais il fut remplacé et la certification accordée. M. Carstensen apparaît vraiment surpris par cette situation.
Le Congo est aussi pour moi le pays où a lieu la situation la plus désolante de ce documentaire. Elle est liée aux communautés autochtones pygmées qui vivent dans les forêts sous aménagement. Les pygmées ont entre autres pour coutume de chasser les gazelles et les singes. Le respect des autochtones est au cœur de la mission du FSC. Mais le FSC, c’est aussi un ensemble de règles et certaines peuvent à l’évidence avoir des effets pervers allant à l’encontre de cette mission.
Un point important si vous souhaitez être certifié FSC, est de respecter les règles gouvernementales. Or, comme les pygmées chassent sur une base coutumière (sans règles légalement établies), c’est considéré du braconnage et cette dernière activité est sévèrement réprimée par le FSC. Même les cultures agricoles coutumières des pygmées sont fortement encadrées par les « écogardes » (le nom qui leur est donné). De nombreux pygmées se retrouvent donc à souffrir de la faim. Certaines recourent à la prostitution pour avoir des sous pour manger. Vraiment « brise-cœur ».
Un aspect technique particulièrement intéressant soulevé par ce documentaire est l’interprétation des étiquettes FSC. Ce n’est pas parce qu’il y a le logo FSC que le produit provient à 100 % de forêts certifiées. En fait, on apprend qu’il s’avère que c’est une minorité de produits qui le sont. La majorité sont issue de sources « mixtes », soit de forêts certifiées FSC et d’autres sur lesquelles ce dernier n’a aucun contrôle. À garder à l’esprit donc !
Autre aspect technique d’intérêt, les amateurs de belles cartographies sont bien servis par un professeur de l’université du Maryland. Ce dernier, travaillant à partir d’images de la NASA, permet aux journalistes d’avoir une vision d’ensemble des territoires visités. Souvent impressionnant (et parfois un peu inquiétant).
Par un effet du hasard, ma dernière chronique de l’an dernier s’intitulait « FSC et forêts tropicales : les preuves restent à faire ». L’étude sur laquelle je m’appuyais était avant tout basée sur des chiffres. Ce reportage en est la version imagée. Mais dans la logique de cette étude en forêts tropicales, les journalistes présentent un chercheur qui analyse les effets de 25 ans de certification FSC en forêt boréale, comparativement à des forêts non certifiées (note : le FSC est né après le Sommet de la Terre de Rio de 1992). Les résultats préliminaires s’avèrent cependant si décevants qu’après les avoir vus une compagnie certifiée FSC a annulé la visite qui avait été entendue avec les reporters.
FSC international a naturellement répondu à ce reportage par une déclaration et une « Fiche de vérification des faits » (en anglais). Ci-dessous, des extraits de la déclaration :
Many of these allegations did not take into account contrasted research and reflect a distortion of isolated or unrelated incidents with no regard for context.
The film does not present the positive impacts that FSC-certified companies are having in any of the concerned countries. For example, it fails to show that Indigenous Peoples in the Congo Basin are given access to health services, schools and jobs through the work of FSC-certified concessions. It also ignores the fact that FSC requires the participation of Indigenous Peoples in the process towards certification.
(…)
As an organization committed to protecting forests and the people that live and work in them, we vehemently oppose violence in any form, including a disregard for human rights and life. Any violations of these rights carried out by FSC certificate holders result in stringent action taken against them.
FSC cannot be held accountable as the only solution for the preservation of the world’s forests as the film intends to do.
Concernant la « Fiche de vérification des faits », FSC international argumente neuf affirmations du reportage. Je n’entrerai pas dans les détails ici pour éviter d’écrire l’équivalent d’une autre chronique ! À noter toutefois que ces neuf affirmations ont elles-mêmes été contre-argumentées sur le blogue FSC-Watch. Comme le nom l’indique, ce blogue a pour mission de surveiller le FSC. Il est animé par d’anciens supporteurs de cette certification, dont un est d’ailleurs interviewé dans le reportage d’ARTE. À souligner que c’est par ce blogue que j’ai pris connaissance de l’existence du documentaire.
En conclusion, je ne peux que reprendre l’idée exprimée dans l’introduction, soit de vous encourager à vous faire votre propre idée en écoutant le reportage 🙂
Très intéressant ! Le lien Youtube ne fonctionne plus cependant. Impossible de voir le documentaire sur la chaîne ARTE. Je l’ai trouvé, en français, sur rutube.ru » Forêts labellisées, arbres protégés ? Un pourcentage aussi faible que 5% permet d’avoir le logo FSC mixte !
Merci pour l’avis et la recherche!