Forêts Modèles : petit Réseau devenu grand!
En ce début d’année 2012, j’ai décidé d’ajouter une autre corde à mes sources d’inspiration : faire des comptes-rendus de certaines conférences auxquelles j’ai assisté. Pour cette première : une conférence sur les 20 ans du Réseau International des Forêts Modèles (RIFM) tenue au Centre de Foresterie des Laurentides le 12 janvier et donnée par messieurs Nicolas Duval-Mace et Jacques Robert. M. Duval-Mace est conseiller en politiques au Secrétariat du RIFM et M. Robert est coordonnateur régional (Québec) pour le Programme des collectivités forestières du Canada (ce Programme a officiellement remplacé en 2007 celui des Forêts Modèles, même si ce dernier nom perdure dans le vocabulaire quotidien).
Né en 1992 au Sommet de la Terre à Rio à l’initiative du Canada, le RIFM compte actuellement soixante forêts modèles réparties dans trente pays. Ces forêts couvrent un peu plus de 100 millions d’hectares. Mais parler du RIFM, à l’instar d’Internet, c’est parler d’un réseau de réseaux. Outre le Réseau canadien, on va retrouver cinq autres Réseaux (méditerranéen, africain, ibéro-américain, Russie-Europe du Nord et Asie). Si c’est au Canada que le Réseau est le plus étendu en terme de superficie (≈ 66% du total), c’est le Réseau ibéro-américain (Espagne – Amérique centrale et du sud) qui compte le plus de forêts modèles (25).
Qu’est-ce qu’une forêt modèle? Il ne semble pas y avoir une définition « simple » et universelle. De fait, considérant la très grande diversité des enjeux que l’on peut retrouver dans le RIFM, M. Robert a mentionné que l’élaboration d’une « charte » internationale des Forêts modèles était à l’ordre du jour. À défaut de donner une définition universelle, on peut cependant décrire une forêt modèle. Une forêt modèle se définit selon trois piliers :
— C’est un territoire à dominance forestière assez vaste pour assurer une diversité d’usages;
— C’est le résultat d’un partenariat entre acteurs avec des intérêts divergents (industrie, autochtones…);
— C’est le développement d’une Mission commune, d’un plan d’action conjoint, dans une optique de développement durable.
Au Québec, le Réseau canadien des Forêts Modèles a été représenté pendant 15 ans (1992-2007) par la Forêt modèle du Bas-St-Laurent et pendant 10 ans (1997-2007) par celle de Waswanipi. Dans le cadre du Programme des collectivités forestières, ce sont aujourd’hui le projet Le Bourdon (Hautes-Laurentides) et la Forêt modèle du Lac St-Jean (Milu nemetatau) qui sont les représentantes de cette initiative d’aménagement forestier mise en place il y a 20 ans (note : les deux premières forêts modèles ont appliqué au nouveau Programme mais n’ont pas été retenues).
Et après 20 ans, il est approprié de parler de bilan. Si les chiffres font état d’un succès certain, ils ne disent naturellement pas tout. Parmi les points (positifs) retenus par messieurs Duval-Mace et Robert, citons que le concept des forêts modèles canadiennes :
– s’est avéré un concept passe-partout à l’échelle internationale. S’il y a eu des critiques sur l’utilisation du terme « forêt modèle » par des francophones (à ce sujet : article sur Sylva Libera), cette « difficulté » fut contournée par l’argumentation qu’il ne s’agissait ni « d’une forêt », ni « d’un modèle », mais « d’une approche»;
– s’est aussi avéré un laboratoire à ciel ouvert pour mettre en place des actions locales face à des enjeux globaux;
– a permis un apprivoisement entre partenaires avec des intérêts divergents où primait le respect des droits et responsabilités de chacun;
– a permis le développement d’un amour commun du territoire.
Dans une conférence, la période de questions est généralement un des moments les plus intéressants (en tout respect pour la bonne conférence qui fut donnée!), petit florilège :
– Est-ce qu’il y a eu des retombées concrètes de ces « laboratoires à ciel ouvert »? Réponse : le meilleur exemple au Québec sont des règles sur l’aménagement faunique en forêt privée qui sont basées sur des aménagements dans la Forêt modèle du Bas St-Laurent (qui n’existe plus…).
– Les États-Unis sont-ils impliqués dans le Réseau? Réponse : non; zéro forêt modèle et zéro financement (quoique cela pourrait évoluer). Comparatif : le Canada s’investit de différentes façons : en plus du support à son propre Réseau, il finance le Secrétariat du RIFM (créé en 1995 et basé à Ottawa) et s’implique directement dans le support du Réseau africain. Toutefois…
– Le Programme des collectivités forestières ayant débuté en 2007 et étant de cinq ans, est-ce qu’il y a des risques qu’il ne soit pas reconduit, surtout dans un contexte de coupures? Pour l’instant, ni de bonnes ou mauvaises nouvelles.
En conclusion, s’il y a beaucoup de choses stimulantes et positives à dire sur ce RIFM et le Réseau spécifiquement canadien, l’aspect du support financier à long terme n’est certainement pas dans cette catégorie. Fonctionner avec des enveloppes de cinq ans, c’est bien peu dans le monde de l’aménagement forestier. Idéalement, un « modèle » devrait mis en place pour environ 70 ans. Cela peut paraître long, mais cela représente un cycle d’aménagement forestier complet (récolte — régénération – nouvelle récolte). Je résume à l’extrême et ce « modèle » s’applique surtout à l’écosystème boréal, mais c’est pour exprimer à quel point la mesure du temps en foresterie est à une autre échelle que les politiques gouvernementales. Et si au dire même des conférenciers les forêts modèles de par le monde sont à développer une résilience face aux aléas financiers, pour un pays forestier comme le Canada, un pays très riche de surcroît, la question de l’avenir ne devrait pas se poser.
Sources images: