Conservation ou exploitation?
C’est une première. Pour cette chronique c’est un évènement à venir qui a suscité mon intérêt. Un évènement qui aura lieu ce soir (jeudi le 3 février) en fait, soit la Chaire publique de l’Aelies (Association des étudiantes et étudiants de Laval inscrits aux études supérieures). Les Chaires publiques sont des séries de conférences sur des grands enjeux de société. Le thème de ce soir : « La forêt québécoise : conservation ou exploitation ? ». Je dois avouer qu’au premier abord j’ai été agacé par le titre qui présente la question forestière québécoise sur la base de cette dichotomie. Mais il y avait quelque chose de plus profond qui m’agaçait. Et c’est là que j’ai pris le temps de lire (relire dans un cas) deux articles qui posaient cette même question mais avec une vision à l’échelle planétaire.
Le plus récent des deux articles est le résultat d’une analyse internationale (Meyfroidt et al. 2010). Les auteurs ont converti en superficie les volumes de biens produits de la forêt, de l’agriculture et de l’élevage (bétail) dans les 40 dernières années dans douze pays. De ces douze pays, sept ont connu une croissance de leur proportion forestière récemment (Bhoutan, Chili, Chine, Costa Rica, El Salvador, Inde et Vietnam), un depuis le 19e siècle (France) et quatre ont connu une décroissance dans la proportion de leur territoire forestier (Brésil, Cameroun, Indonésie et Pérou). L’objectif était de valider une théorie qui veut que la protection de territoires forestiers dans un pays a des conséquences négatives sur cette même proportion dans les pays voisins (terme technique : « leakage »). Leur conclusion : pour la majorité des pays qui ont vu un accroissement de leur proportion forestière, cela s’est effectivement traduit par des diminutions du territoire forestier dans d’autres pays. En fait, dans les cinq dernières années, un peu plus de 50% des gains en territoires forestiers dans un pays ont été annulés par des pertes équivalentes dans d’autres pays. Et cela seulement en terme quantitatif. En terme qualitatif, les auteurs concèdent qu’il est possible que le gain en superficie forestière se soit fait par le biais de plantations alors que la perte s’est située dans des forêts tropicales humides très riches en biodiversité.
La deuxième étude est plus proche de nous, chez nos voisins du sud. Ici, Shifley (2006) s’est attardé à analyser la balance entre la consommation de bois aux États-Unis et la récolte dans ce pays en relation avec le potentiel de ce pays à répondre à ses besoins. Son constat : si les américains sont très revendicateurs pour protéger leur forêt, cela se fait au détriment des forêts d’autres pays. Plusieurs données très intéressantes sont amenées. Tout d’abord, les américains sont non seulement les plus gros consommateurs de bois/habitant mais ils ont aussi plus de forêts/habitant comparativement à la moyenne mondiale (États-Unis : 1,1 hectare/habitant, Monde: 0,6 hectare/habitant). Malgré cela, les États-Unis sont des importateurs de bois. En particulier, dans les 40 dernières années leur balance d’échange en produit du bois a toujours été déficitaire et en 2005, une des plus importante année pour la consommation de bois aux État-Unis, 39% du bois provenait de l’étranger (WWPA 2006).
Shifley (2006) s’est attardé à estimer le volume de bois qui devrait être récolté aux États-Unis pour contribuer de façon équitable à leur consommation dans le respect de leur capacité. Il en est arrivé à l’estimation qu’en 2000 les États-Unis « délocalisaient » les effets de la récolte d’un peu plus de 100 millions de m3 de bois, un volume estimé à plus de 300 millions de m3 en 2050. Donc, si la récolte de bois peut être estimée comme durable aux États-Unis, ce n’est pas le cas si on regarde dans un contexte plus large. En fait, un peu ironiquement, l’auteur estime que si on estime les retombées de la récolte de bois comme positives, les américains devraient faire en sorte de garder ces impacts localement. Et si au contraire les impacts sont estimés négatifs, il devient alors une responsabilité d’assumer ces impacts et de les atténuer au maximum.
Alors, exploitation ou conservation? En regard des exemples présentés, on en revient au grand principe que « rien ne se perd, rien ne se crée ». Tant que nous consommerons des produits liés au bois, il faudra produire. Et si cette production ne se fait pas localement, elle se fera ailleurs ou avec des produits de substitution au bois qui ont une empreinte écologique plus importante. Donc, si on devait cesser de récolter au Québec, si on devait « conserver », il faut être conscient qu’il faudra aller chercher le matériel de base ailleurs. Si le concept de durabilité est louable à l’échelle locale voire provinciale, si nous croyons vraiment au concept, il est essentiel que nous développions une conscience globale pour ne pas exporter les conséquences de notre « durabilité »!
Références :
Meyfroidt, P., T. Rudel, et E. Lambin. 2010. Forest transitions, trade, and the global displacement of land use. P Natl Acad Sci Usa 107(49) : 20917-20922. doi:10.1073/pnas.1014773107
Shifley, S. 2006. Sustainable forestry in the balance. J Forest 104(4) : 187-195.
Western Wood Product Association (WWPA). 2006. Another record year for demand pushes western lumber production higher in 2005. News release. Sept. 12, 2006.
Crédits photos : Eric Alvarez