Budget en crise, forêts publiques à louer!
Même si vous n’êtes pas de ceux qui suivent la politique américaine avec attention, vous avez certainement entendu parler des récents débats « musclés » au Congrès des États-Unis concernant leur budget. Ils en sont venus à un accord sur la base de couper 917 milliards sur 10 ans dont 21 milliards dans le budget 2012. Si on entend rarement parler des conséquences terrain de ces décisions, en voici une qui touche directement les forêts cantonales (county forests) de l’Oregon.
Les forêts cantonales de l’Oregon, situées principalement dans l’ouest de cet État, occupent 9000 km2 (2,2 millions d’acres) et sont dispersées dans dix-huit cantons. De juridiction fédérale, elles sont aménagées par le Bureau of Land Management (BLM), une agence gouvernementale sous la direction du Département de l’Intérieur. La mission du BLM est de maintenir la santé, la productivité et la diversité des terres publiques des États-Unis pour l’usage et la jouissance (enjoyment) des générations présentes et futures. En pratique, il a sous sa responsabilité plus de 1 million de km2 (245 millions d’acres) en surface, mais aussi 3 millions de km2 (700 millions d’acres) en sous-sol (ressources minières).
Les forêts cantonales jouent un rôle financier non négligeable dans les juridictions locales dans lesquelles on les retrouve en Oregon. Les revenus servent directement les communautés en finançant l’éducation, la santé et autres. Cet argent provient principalement du Gouvernment fédéral qui, s’il ne paye pas de taxes sur ces terrains, partage l’argent des revenus de la récolte forestière. Or, l’argent versé par le gouvernement fédéral (environ 240 millions de dollars/an) via les forêts cantonales fait partie des coupures et cela va être (a été!) effectif à partir du 30 septembre. Cela crée donc une énorme pression pour compenser cette perte.
Piste de solution: des forêts en trusts
Pour pallier à ce problème financier, deux représentants au Congrès (un Démocrate – M. DeFazio et un Républicain – M. Walden) ont mis sur la table le principe de « louer » ces forêts pour une période 99 ans en échange d’un montant de 3 milliards de dollars payable immédiatement. La logique en arrière de cette proposition est de faire fructifier ce montant pour qu’il rapporte annuellement une somme correspondant à la perte des revenus (ils visent un taux d’intérêt de 8%, soit 240 millions $/an).
Pour y arriver, les propositions tournent toutes autour de l’idée de confier à un ou deux trusts l’aménagement de ces forêts. Dans chaque cas, il y aurait toutefois un objectif de préserver les milieux les plus sensibles comme les vieilles forêts. La proposition parrainée par les représentants fédéraux vise à diviser les terrains en deux. Une partie favoriserait la récolte forestière alors que la deuxième serait plus axée sur les valeurs environnementales. À noter que cette idée, avant d’être reprise par le milieu politique, a été mise de l’avant en 2006 par une personne reconnue pour son engagement environnemental (M. Stahl). Le représentant (M. Robertson) des responsables politiques des cantons fait valoir qu’ils sont plus intéressés par l’idée d’un seul trust sur lequel siègeraient des représentants de l’industrie et du milieu environnemental. Ils jugent trop compliquée l’idée de deux trusts.
Des réactions contrastées
Comme cela arrive régulièrement quand il est question de forêts publiques, il y a deux camps bien définis dans l’appréciation de cette proposition. D’un côté, les compagnies forestières sont très heureuses et d’un autre côté les groupes environnementaux montent aux barricades. Il faut préciser que, pour rendre attrayante la « prise en main » de ces forêts en échange d’un gros montant d’argent, les règles actuellement en vigueur pour encadrer l’aménagement seraient assouplies. De fait, actuellement le processus de planification de l’aménagement de ces forêts (Western Oregon Plan Revision) est embourbé dans des contestations légales. Les forêts, particulièrement celles qui ne seraient pas dédiées à la préservation des valeurs environnementales, tomberaient sous les règles qui régissent l’aménagement des forêts privées en Oregon et qui sont plus souples pour permettre des coupes totales (clearcuts).
Quoique les groupes environnementaux reconnaissent la réalité financière, ils refusent l’idée qu’il faille pratiquement vendre des éléments du patrimoine public pour faire face à cette difficulté. Ils voient là un dangereux précédent qui semble d’ailleurs vouloir s’étendre à l’Est de l’Oregon alors que le représentant Walden aurait très récemment proposé de mettre les forêts nationales de l’Est de l’Oregon en trust. Il est aussi rappelé que la préservation de forêts et autres terrains comme « trésors » pour les générations futures avait été décrétée par le Président Roosevelt (Théodore) il y a une centaine d’années. L’objectif étant alors de préserver ces territoires des intérêts parfois trop locaux et à trop court terme. « Louer » ces forêts pour 99 ans reviendrait à trahir cette vision en laissant les « fat cats » de Wall Street imposer leur vision sur l’aménagement de ces forêts grâce à leur argent (il y a des présomptions sur l’origine potentielle des 3 milliards…).
Les « chances » que le projet se réalise? D’un point de vue pratique, M. Robertson fait valoir la difficulté d’avoir un inventaire précis du territoire qui fasse ressortir les secteurs avec une valeur environnementale à préserver; une tâche essentielle avant que quelqu’un ne décide de mettre 3 milliards sur la table. Une difficulté qui n’en est toutefois pas une pour M. Stahl qui considère qu’il suffit de mettre de côté tout ce qui n’a jamais été coupé. Du côté politique, les choses semblent un peu nébuleuses, M. DeFazio n’est d’ailleurs pas très sûr de ce qui va ressortir du sous-comité du Congrès qui s’occupe de ce dossier et dont il est membre. Chose certaine toutefois, le processus est en marche.
Comme on peut le constater, à peine annoncées, les coupes dans le budget des États-Unis vont déjà avoir de l’influence sur l’aménagement d’une portion de leurs forêts publiques. Considérant que les coupes budgétaires doivent s’échelonner sur une dizaine d’années, il ne faudrait pas se surprendre que d’autres cas de ce type apparaissent.
Sources :
Bureau of Land Management
Federal spending cuts jeopardize funding for conservation programs – The Forestry Source – Septembre 2011, p. 11
House subcommittee considers forest management
Oregon forests shouldn’t be used to pay the counties’ bills
Walden urges lease program to make up loss of timber funds
Photos :
Creek in Wilderness area
Metolius river
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