Biodiversité au Québec : des raisons de dédramatiser II
Comme le titre l’implique, ce texte est la suite d’une précédente chronique.
Avoir lu le premier texte est souhaitable, mais loin d’être essentiel. Pour le petit résumé (ou rappel), j’y présentais deux grandes approches qui répertorient géographiquement les priorités internationales en protection de la biodiversité. Il s’avérait qu’aucune ne retient de territoires prioritaires à protéger au Québec ou même au Canada.
Je mentionnais aussi qu’il s’agissait alors d’un «premier pas» sur cette thématique à l’échelle internationale. Avec ce «deuxième pas», je vise donc à offrir un regard un peu plus complet sur la place du Québec dans les grandes priorités planétaires en protection de la biodiversité.
Pour cela, je vais référer à la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) des espèces menacées. Cette Liste recense l’état de santé de près de 160 000 espèces sur la planète (vertébrés, invertébrés, plantes…). Elle est une référence internationale en la matière. À noter que pour établir son réseau d’aires protégées, le Québec se base sur des catégories définies par l’UICN.
La Liste : historique et compréhension des catégories
L’histoire de cette Liste rouge débute à la sortie de la Deuxième guerre mondiale avec la publication d’un Livre rouge listant quatorze espèces de mammifères et treize espèces d’oiseaux menacées. C’est cependant en 1964 que la Liste rouge sera formellement établie. L’année 1994 représente un tournant dans l’évolution de cette Liste avec l’établissement d’un nouveau système de catégories. Des ajustements ont été apportés à ce nouveau système au fil des ans pour en venir à la version 3.1 en vigueur depuis 2001 (Figure ci-dessous).
Quelques précisions et définitions sont utiles pour mieux comprendre les principales catégories.
Tout d’abord, pour la terminologie, dans les documents de référence de l’UICN les termes «taxons» et «espèces» sont utilisés de façon presque interchangeable. Pour le détail, il est précisé que :
Dans les notes, définitions et critères qui suivent, le terme «taxon» est utilisé par commodité et peut représenter des espèces ou des niveaux taxonomiques inférieurs, y compris des formes n’ayant pas encore fait l’objet d’une description officielle.
— UICN 2001, p. 4
Dans les faits, il est cependant surtout question «d’espèces» et c’est le terme auquel je vais m’en tenir.
Concernant la grande catégorie Menacée, il suffit qu’une espèce ait un critère la classant dans En danger critique, En danger ou Vulnérable pour qu’elle y soit inscrite. Il y a de très nombreux critères pour chacune des catégories. Je présente ci-dessous le critère qui apparaît comme le «point d’entrée» (le plus facile) de cette grande catégorie Menacée :
Analyse quantitative montrant que la probabilité d’extinction à l’état sauvage est d’au moins 10 % en l’espace de 100 ans.
— UICN 2001, p. 23
Cela vaudrait à cette espèce d’être classée Vulnérable.
La catégorie Éteinte à l’état sauvage s’explique en elle-même. Il est recommandé d’inclure les espèces qui y sont classées comme Menacées, car il reste des possibilités de réintroduction.
Finalement, pour les catégories Préoccupation mineure et Données insuffisantes, les définitions sont :
Un taxon est dit de Préoccupation mineure lorsqu’il a été évalué d’après les critères et ne remplit pas les critères des catégories En danger critique d’extinction, En danger, Vulnérable ou Quasi menacé. Dans cette catégorie sont inclus les taxons largement répandus et abondants.
— UICN 2001, p. 15
et,
Un taxon entre dans la catégorie Données insuffisantes lorsqu’on ne dispose pas d’assez de données pour évaluer directement ou indirectement le risque d’extinction en fonction de sa distribution et/ou de l’état de sa population. Un taxon inscrit dans cette catégorie peut avoir fait l’objet d’études approfondies et sa biologie peut être bien connue, sans que l’on dispose pour autant de données pertinentes sur l’abondance et/ou la distribution. Il ne s’agit donc pas d’une catégorie Menacée. […]
— UICN 2001, p. 15
Analyse : Le Québec dans le rouge?
Le site de la Liste rouge a un outil de «recherche avancée» qui permet de l’interroger selon de très nombreux critères. Pour l’analyse, j’ai retenu les catégories de l’état de santé des espèces telles qu’illustrées dans la Figure ci-haut. Le second critère utilisé fut «Land regions». Pour l’analyse, je m’en suis tenu à l’option par défaut (la planète) et le Québec.
Les résultats, exprimés selon deux approches :
Tableau : Répartition du nombre d’espèces de la Liste rouge de l’UICN par catégorie selon une perspective mondiale ou seulement au Québec (données à jour le 23 janvier 2024, Source)
Catégories | Monde | Québec |
---|---|---|
Éteintes | 909 | 0 |
Menacées d’extinction | 44100 | 29 |
Quasi menacées | 9170 | 9 |
Préoccupation mineure | 81721 | 828 |
Données insuffisantes | 21290 | 17 |
Total | 157190 | 883 |
On peut aussi visualiser ces résultats avec une cartographie synthèse à l’échelle planétaire produite par l’UICN. À souligner que la biodiversité prise en compte dans ces cartes «se limite» aux amphibiens, oiseaux, mammifères et reptiles. Aussi, pour le point technique, ces cartes sont basées sur des grilles de 865 km2. Plus de détails méthodologiques ici.
La première carte ci-dessous inclut les espèces dans toutes les catégories de la Liste rouge. Les statistiques représentent le nombre d’espèces que l’on peut potentiellement retrouver dans chaque grille.
Pour la deuxième carte, il est exclusivement fait référence à la grande catégorie Menacée. Dans ce cas, les statistiques expriment la proportion de la répartition de chaque espèce qui se retrouve dans une grille. Cette carte exprime donc l’importance relative de chaque grille pour les espèces menacées qui peuvent s’y retrouver.
Du sens de cette Liste
Avant de conclure, un point qui peut paraître incongru est que cette Liste rouge d’espèces menacées concerne dans les faits une majorité d’espèces classées dans la catégorie Préoccupation mineure. Comme il est cependant expliqué sur le site de l’UICN, la logique est de pouvoir constater si une population a une tendance négative avant qu’elle n’atteigne le stade Menacée. On peut ainsi intervenir en mode «prévention». Contrairement à son nom, cette liste se veut donc avant tout un inventaire du vivant plutôt qu’une encyclopédie d’espèces menacées.
Grand constat et mot de la fin
Sur la base des différentes visualisations de la base de données de la Liste rouge de l’UICN des espèces menacées, il apparaît clairement que le Québec n’est pas un territoire qui représente un souci pour la biodiversité à l’échelle internationale.
Ce grand constat étant en droite ligne avec celui émis dans mon précédent texte, il m’est apparu approprié de compléter cette chronique en reproduisant la fin de la conclusion de mon premier texte :
Pour autant, une constante de ces différentes approches est que nous sommes absents de tous ces classements (Canada ou Québec).
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucune valeur à notre biodiversité! Le principe de base est que tous les pays doivent faire de leur mieux afin de veiller sur leur biodiversité.
Ce que cela veut cependant dire est qu’en perspective, il y a matière à dédramatiser nos enjeux locaux de biodiversité. Faisons sincèrement de notre mieux, mais arrêtons de présenter nos enjeux comme un souci planétaire. Ce n’est manifestement pas le cas!
— La Forêt à Cœur