« À priori ou à postériori? » Une question-clé sur la possibilité forestière sous le regard d’un chef forestier au temps des concessions
Dans le monde du calcul de la possibilité forestière, une grande question, qui revient épisodiquement, est de décider de quelle façon il faut tenir compte des perturbations naturelles. Actuellement, et depuis (au moins) la politique forestière de 1986 (Loi sur les Forêts), la stratégie est de s’ajuster à postériori. Certains chercheurs (ex. : M. Alain Leduc – UQAM) prônent plutôt une prise en compte à priori. Le monde forestier n’a toutefois pas été créé en 1986 et des aménagistes avaient déjà dans le passé réfléchi à cette question et avaient établi une politique simple. Je vais donc maintenant laisser la parole à M. Roland Royer, alors chef forestier de la Consolidated-Bathurst Limitée, qui était à cette époque le deuxième plus important concessionnaire forestier au Québec.
Petite mise en contexte. L’extrait que je vais vous présenter est tiré d’un discours de M. Royer à une assemblée de l’Association Forestière Québécoise (aujourd’hui disparue) en 1972. Le titre de sa conférence : « Pourquoi abolir les concessions forestières? » Le Ministère des Terres et Forêts venait de publier un Livre Blanc où le futur de la politique forestière du Québec passait par une abolition des concessions. M. Royer répond dans ce discours à plusieurs critiques émises contre le régime des concessions. L’extrait qui va être présenté faisait partie de la réponse à la critique de la sous-utilisation de la forêt résineuse par les concessionnaires forestiers. Oui, on parlait de « sous-utilisation », je n’ai pas fait une erreur d’écriture. Plus spécifiquement, les concessionnaires étaient « accusés » dans le Livre Blanc de n’utiliser que 65 % de la possibilité.
« La question de la possibilité forestière a été traitée dans le LB [Livre Blanc] d’une façon très superficielle et tellement générale que l’on est arrivé à des conclusions vides de sens pratique. En ce qui concerne la possibilité des essences résineuses, il fut mentionné que seulement 65 % de la possibilité était utilisée. En prévision de pertes toujours possibles par le feu, les insectes, etc., il est sage, surtout durant les périodes de récession économique alors qu’il y a baisse dans la demande pour le bois, de garder une marge de sécurité de 10 % dans l’utilisation de la possibilité. […] »
Les concessions ont fini par toutes être révoquées. Et avec elles une partie de notre expérience et sagesse en aménagement forestier.
Sources :
Bureau du Forestier en chef. Octobre 2010. Orientations pour l’élaboration du calcul des possibilités forestières (CPF) pour la période 2013-2018. (pp. 17-18)
Le document de M. Roland Royer a été extrait des archives de feu M. Robert Fortin (forestier). Ses archives sont disponibles via la Société d’Histoire Forestière du Québec
Photo :
Après l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette de 1946-1956. – M. Leopold Anctil (Consolidated Paper Corporation Ltd)