La forêt québécoise en mode « Révolution tranquille » depuis 40 ans
Ma précédente chronique mettait en relief deux grands constats tirés d’un sondage pancanadien de 1989, soit: la perception négative des Québécois de l’aménagement de leurs forêts publiques et le jugement sévère qu’ils portaient sur les deux principaux responsables (industrie forestière et gouvernement). Aujourd’hui, je présente une des raisons de cette perception négative: l’avènement soudain de la récréation « de masse ». Pas la seule assurément, mais sans aucun doute une des principales raisons du « mal-être » des Québécois face à l’aménagement de leurs forêts.
Les données du graphique ci-haut sur l’évolution de l’utilisation des Parcs et Réserves du Québec pour la récréation sont tirées d’une présentation de M. Laurent Bouliane (ingénieur forestier — Parcs Canada) dans le cadre du congrès annuel de l’Ordre des Ingénieurs Forestiers (OIFQ) de 1975 (il existait alors un compte-rendu papier des conférences).
Comme on peut le voir, d’inexistante avant 1960, l’utilisation récréative des forêts québécoises a connu une expansion exponentielle à partir du milieu de cette décennie. C’est la période connue au Québec sous l’appellation de « la Révolution tranquille » et qui a vu beaucoup de bouleversements sociaux et politiques (entre autres, nationalisation de l’électricité, églises qui se vident…). Moins connu était le fait que les Québécois se sont, en quelque sorte, « approprié » leurs forêts.
Comme le mentionnait un chercheur de l’Institut de recherche des pâtes et papiers du Canada (M. Gordon Weetman) lors d’un précédent congrès de l’OIFQ (1971), si les progrès de la mécanisation en forêt ont permis (entre autres) de bâtir de meilleurs chemins forestiers, ces progrès ont aussi facilité l’accès aux touristes. Or, notait le chercheur, « Ceux-ci s’objectent aux changements intenses et inesthétiques subis par la forêt de même qu’au bruit de la machinerie. »
Le graphique permet de bien visualiser la source du problème. Pendant des décennies, il y a eu un « mur » entre les forestiers et le monde citadin; chacun faisant « sa vie » de son côté. En une décennie, ce mur s’est effondré et les forestiers ont été pris de court face aux valeurs citadines. De leur côté, les citadins, n’aimant pas ce qu’ils ont vu et étant plus nombreux que les forestiers, ont alors commencé à faire des pressions politiques pour diminuer la superficie des forêts sous aménagement forestier; pressions qui se poursuivent toujours aujourd’hui même si les raisons diffèrent!
De fait, lorsque l’on constate l’ampleur des échos positifs dans la société québécoise d’aujourd’hui aux appels à la création d’aires protégées et à à peu près tout ce que les groupes environnementaux peuvent dire concernant les forêts, force est de constater que les forestiers et le gouvernement n’ont pas su rendre l’aménagement forestier socialement acceptable dans les 40 dernières années. C’est long.