Dendroctone du pin ponderosa : l’Alberta à la rescousse
Quand on pense à l’Alberta, on pense surtout «pétrole». Mais il y a aussi de la forêt et, depuis 2006, le dendroctone du pin ponderosa! Si à l’échelle canadienne le dendroctone est associé à la Colombie-Britannique, sa présence en Alberta n’est cependant pas une surprise. La première incursion documentée remonte aux années 1940 et il y a déjà eu dans cette province une sérieuse épidémie entre 1976 et 1985. Le problème aujourd’hui est que le dendroctone a profité de deux vagues d’invasion rapprochées (2006 et 2008) pour s’installer et qu’il n’y pas eu d’hiver assez rigoureux pour tuer les larves. Résultat: l’Alberta est en mode combat pour limiter les dégâts, entre autres, à son industrie forestière (14 des 25 compagnies les plus importantes sont dépendantes des pins) et éviter que l’épidémie ne s’étende à la Saskatchewan… et à l’Est canadien.
Il est bien connu que le dendroctone s’attaque au pin tordu latifolié (lodgepole pine), mais jusqu’à tout récemment il y avait des doutes quant à son intérêt pour le pin gris. Des doutes qui ont depuis été levés. Or, l’Alberta a la particularité d’être à l’interface entre l’aire de répartition du pin tordu latifolié et du pin gris. Et c’est là où tout se joue. Si le dendroctone arrive à passer dans la zone de pin gris et en Saskatchewan, il profitera d’un immense boulevard pour filer vers l’Est. Une image valant mille mots, voici quelques Figures commentées pour mieux saisir la problématique.
Les aires de distribution du pin tordu et du pin gris se rencontrent dans la moitié nord de l’Alberta (Figure 1).
Plus spécifiquement, c’est au nord d’Edmonton que se joue la dispersion du dendroctone du pin tordu au pin gris (Figure 2).
À partir de la Saskatchewan, le dendroctone bénéficiera d’une meilleure connexion des pins qu’en Alberta pour se propager vers l’Ontario et le Québec (Figure 3).
Comme on peut le voir entre la situation pré-épidémie et l’évolution quelques années plus tard, le dendroctone a rapidement progressé en Alberta (Figure 4). Toutefois, les données les plus récentes permettent de constater que l’épidémie est contenue.
Ce succès dans le combat du dendroctone est le résultat d’une stratégie très agressive adoptée par les autorités albertaines et qui est basée sur une subdivision de la province en trois zones, soit: la leading edge zone, l’holding zone et la salvage (ou inactive) zone (Figure 5).
La leading edge zone est la zone la plus critique, car c’est celle qui représente les risques de contagion de l’épidémie alors que le dendroctone commence à s’y installer. Dans cette zone, l’objectif est d’abattre au moins 80% des arbres infestés en plus de s’assurer d’éliminer les larves par écorçage, brûlage ou broyage. Ce seuil de 80% est reconnu comme le minimum pour maintenir cet insecte à l’état endémique ou l’éliminer. Les interventions se font avant tout à l’échelle de l’arbre.
Il faut ici mettre en contexte que le dendroctone ne vole généralement pas sur de grandes distances (< 50 mètres), ce qui rend possible cette stratégie. S’il a pu passer de la Colombie-Britannique à l’Alberta, c’est grâce à des vents qui lui ont permis de survoler les Rocheuses.
Dans l’holding zone, où le dendroctone est à l’état épidémique, l’objectif est de maintenir la population d’insectes stable d’une année à l’autre en espérant que les températures hivernales viennent donner un coup de main. Pour cela, il est visé de traiter entre 50% et 80% des arbres infestés. Contrairement à la précédente zone, les interventions se font en priorité par trouées, même si l’approche arbre par arbre n’est pas exclue.
Finalement, la salvage (ou inactive) zone est une zone «perdue» où 50% et plus des pins ont été tués par le dendroctone. Comme aucune intervention ne fera diminuer l’épidémie, les objectifs d’aménagement visent d’autres priorités comme diminuer les pertes de bois ou les risques d’incendie.
Sur le long terme (20 ans), la stratégie de l’Alberta est d’identifier les peuplements classés «très vulnérables» au dendroctone et diminuer leur présence de 75% par la récolte ou le brûlage dirigé. Naturellement, comme en Colombie-Britannique, cela va entraîner une hausse de la possibilité forestière à court terme avec pour conséquence une diminution sur le long terme.
Cette bataille qui se joue dans l’Ouest à des implications potentielles importantes pour le Québec. Si on s’attarde aux seules trois régions avec les possibilités forestières les plus élevées au Québec selon les plus récents calculs, le pin gris représentait 9% du volume de bois sur pied au Saguenay-Lac St-Jean, 14% au Nord-du-Québec et 10% en Abitibi-Témiscamingue (MRNF 2010). Malgré ces chiffres, je n’ai lu nulle part que le Québec, contrairement à la Saskatchewan, était directement impliqué dans cette lutte, ce qui est somme toute malheureux considérant les enjeux. Si l’on devait être épargné par cette épidémie, il serait tout de même bon d’envoyer une carte de remerciement en Alberta.
Pour en savoir plus
Le site officiel de la lutte au dendroctone en Alberta
Quelques articles :
Alberta mill in the middle of pine-beetle battle
Voracious mountain pine beetles on hold in forests northwest of Edmonton