Les bases de l’aménagement forestier : ou comment éviter une autre Commission d’étude
L’intérêt de base de ce blogue est d’apporter une contribution à la réflexion sur l’aménagement forestier au Québec. Mais, qu’est-ce que l’aménagement forestier? Pour avoir une réponse à cette question, je me suis tourné à nouveau vers M. Baskerville. L’article en question Understanding Forest Management (août 1986, The Forestry Chronicle : 339-347) est basé sur une question forestière « simple », à savoir : comment l’aménagement forestier pouvait-il contribuer à la production de matériel brut (raw material) de haute qualité à coût raisonnable dans les forêts canadiennes? C’est un article que je verrais très bien au curriculum d’un étudiant de premier année en aménagement forestier. Malgré sa simplicité et son âge, cet article apporte cependant des éléments de réflexion qui pourraient être très utiles aujourd’hui.
Point de départ : la définition de l’aménagement forestier selon M. Baskerville.
« Forets management tries to control the way the whole forest develops, both temporally and spatially, so that the pattern of stands over the whole forest is continuously suitable for the purposes of management. »
Dans son article, M. Baskerville ne se contente pas de simplement énoncer sa définition. Il tape sur le clou ou, plus précisément, il s’assure que son principal message passe : l’aménagement forestier, c’est l’art d’anticiper. C’est donner une vision du futur d’une forêt la plus précise possible et prendre les moyens pour mettre en oeuvre cette vision.
Et en pratique, les moyens pour mettre en oeuvre cette vision doivent se baser sur les caractéristiques propres de chaque forêt, sur une connaissance intime de sa dynamique naturelle. Important : il s’agit ici de comprendre sans nécessairement imiter (ce n’est pas interdit non plus!). Aussi, une vision d’avenir, une structure d’avenir doit être établie pour chaque forêt. Aucune forêt n’est pareille. M. Baskerville va jusqu’à spécifier que « Each harvest is a unique event ». C’est dire que dans sa vision de l’aménagement forestier, le mur à mur n’a pas sa place; il faut connaître sa forêt intimement avant d’intervenir en fonction de nos objectifs.
Les perturbations naturelles sont très présentes dans la réflexion de M. Baskerville. C’est pourquoi il considère la protection des forêts contre ces dernières comme le principal outil d’aménagement. Si on laisse les perturbations naturelles s’exprimer, la structure visée dans le futur peut rapidement devenir impossible à atteindre. Et le besoin de protection est d’autant plus important qu’il est clair pour M. Baskerville que lorsque l’on calcule la quantité de volume que l’on peut récolter durablement, l’équation s’exprime ainsi : perturbations naturelles + récolte = récolte totale.
Finalement, la « question qui tue », qu’est-ce qu’un bon aménagement forestier? Selon M. Baskerville, on devrait juger s’il y a un bon aménagement forestier dans une forêt donnée sur la base de six critères (« features ») (note : je les garde en anglais pour éviter d’en modifier le sens en traduisant).
1. There is a responsible manager, of a defined forest, with an explicit target forest structure that a management plan is attempting to reach.
2. There is an analysis of the forest dynamics unique in this forest to define what characteristics of the present structure prevent attainment of the goal structure.
3. There is a specific designated solution that is directly referenced to the analysis of the problem.
4. There is an explicit implementation plan showing what is to be done, where and when. This is sufficiently explicit to allow realistic appraisal of the cost of implementation.
5. There is an explicit assessment and control procedure in place that is capable of detecting failure of management whether this derives from pure failure to implement the management plan, or from failure of stands to respond in the forecast manner.
6. There is an explicit procedure in place to initiate redesign of management when failure is detected.
En résumé, pour une forêt donnée, un bon aménagement forestier devrait s’articuler autour du fait qu’il y a un responsable clairement identifié avec une connaissance intime de la dynamique naturelle de cette forêt; qu’une vision de la structure future de cette forêt a été établie; qu’une stratégie pour atteindre cette structure a été définie ainsi qu’un système de suivi assurant les ajustements en cours de route. Et c’est tout! Aurai-je le réflexe d’ajouter. En fait, la (relative) simplicité de cette vision de l’aménagement met particulièrement en lumière à quel point on s’est collectivement perdu.
Petit remise en contexte. L’article a été publié en 1986. Le terme écosystémique n’est pas encore (ou peu) utilisé à cette époque. Toutefois, l’essence de ce concept est bien présent dans la simple présentation que fait M. Baskerville de l’aménagement forestier. Considérant que l’article a été publié la même année que l’adoption de la Loi sur les Forêts, cette vision de l’aménagement forestier et l’adoption des six critères proposés auraient donné une histoire différente et probablement plus positive de l’aménagement de nos forêts. Aussi, nous n’aurions pas eu besoin d’une Commission d’étude pour nous dire qu’il est important de prendre en compte la dynamique naturelle propre à chaque forêt. Et cela nous aurait évité ce qui m’apparaît de plus en plus comme une dérive, à savoir l’intégration du concept d’aménagement écosystémique au coeur de la Loi sur l’aménagement durable des forêts. L’écosystémique, ce devrait être naturellement au coeur de l’aménagement forestier. En en faisant un pilier central de la Loi, on transforme le concept en but plutôt qu’en moyen.
Quand une équipe sportive va mal, on entend généralement de la part des joueurs et entraîneurs : « il faut revenir à la base ». Dans les années passées, notre foresterie s’est fait « ramasser ». Comme solution, on a eu le réflexe de complexifier encore plus les choses. Et si au contraire on revenait à la base?
Crédits photos : L. Anctil (Consolidated Paper Ltd). Première photo : 8 ans après coupe (1925); Deuxième photo : 4 ans après feu (et à l’évidence récolte de bois brûlé) – probablement un des feux de 1923.
Effectivement, c’est simple et logique.
Pourquoi ne peut-on suivre ces principes si évidents ?
Parce qu’il faut un aménagiste pour chaque forêt qui se définit, ou se conçoit, selon sa nature écologique, sa composition, sa structure et sa dynamique particulière; parce qu’à partir d’une bonne compréhension de sa forêt cet aménagiste pourra appliquer des solutions adéquates, rédiger un plan d’aménagement spécifique montrant ce qui doit être fait, tout en prenant soin de bien mesurer les coûts de mise en œuvre. Parce que ce plan doit être suivi après sa mise en œuvre de procédures de contrôle des résultats obtenus par rapport aux résultats souhaités, et surtout, que ce suivi débouche sur les corrections qui s’imposent, tant sur le terrain que dans la préparation des futurs plans d’aménagement.
Est-ce bien comme cela que nous avons procédé jusqu’à maintenant ? De toute évidence, non ! Est-ce vers cela que nous nous orientons ? Je n’en suis pas certain.
Pourquoi ? Tout d’abord, on n’admet pas encore qu’une unité d’aménagement forestier, telle que l’UAF 25-51, ne peut porter sur 10 000 km², couvrir plus de 3° de latitude, pour traverser trois, sinon quatre régions écologiques, et passer ainsi du sud au nord, de la sapinière à bouleau jaune, à la sapinière à bouleau blanc, à la sapinière à épinette noire, puis à la pessière à mousse, pour se terminer, loin au nord, dans la pessière noire à lichens. Et cela ne fait pas état de la grande diversité des conditions stationnelles. Comment peut-on concevoir sur un territoire si écologiquement hétérogène (climat, géologie et sols), un seul et même grand plan d’aménagement, et y appliquer des stratégies sylvicoles adaptées aux sous-ensembles forestiers reconnus sur le terrain ?
Manque, éclatement, dispersion du personnel forestier, tel est un des vices de notre système. Pourquoi la réforme forestière a-t-elle rejeté la proposition du livre vert de M. Béchard de créer des Sociétés forestières régionales qui auraient fédéré, et mis en synergie toutes les compétences existantes dans les grandes régions forestières du Québec ? Les effets de ce recul du gouvernement se font déjà sentir, puisque les grandes compagnies forestières ayant gardé leur personnel – alors qu’elles n’ont plus la responsabilité de rédiger les plans d’aménagement -, commencent à rentrer par la porte arrière du ministère, en se faisant offrir une structure de coordination quasi paritaire MRNF/Industrie qui travaillera en amont des tables de gestion intégrée des ressources et du territoire.
À suivre…
Silva libera
De très bonnes questions : ) Comme le « comment » la réforme va s’arrimer en pratique est en développement, ça va effectivement être un dossier très intéressant à suivre d’ici 2013 et probablement après!