LEED : le cheval de Troie vert de l’acier et du béton?
Parmi les champs d’intérêt que j’ai développés depuis l’ouverture de ce blogue, il y a le grand dossier des constructions non résidentielles en bois, un dossier important au Québec. Ce qui est au fond logique pour un blogue dédié à l’aménagement forestier, car la promotion de la culture dans ce domaine va de pair avec une culture d’utilisation du bois. L’effet collatéral de cet intérêt est que je garde toujours un oeil sur l’actualité liée à la certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design), qui est en voie de devenir LA certification « verte » des immeubles. Lorsqu’est paru l’automne dernier un dossier du USA Today sur la certification LEED avec le titre In U.S. Building industry, is it too easy to be green? ma curiosité a naturellement été attisée. Malgré le « petit » délai entre le dossier et cette chronique, les enjeux soulevés par les journalistes du USA Today gardent tout leur intérêt aujourd’hui.
Le point de départ de l’enquête des journalistes du USA Today fut l’hôtel Palazzo à Las Vegas. Cet hôtel de plus de 3000 chambres (en fait, des « suites »), que vous pouvez imaginer très luxueux (sept piscines, trois télés par « suite »…), a obtenu une certification LEED qui fut payante, car elle lui a valu un congé de taxes foncières de 27 millions $ sur 10 ans. Et c’est là que les journalistes ont « accroché ». Pour obtenir sa certification, l’hôtel a tiré profit d’une série de mesures « faciles » à atteindre comme d’avoir des stationnements incitatifs pour les véhicules verts. Ces stationnements étaient occupés par des Hummer et autres énergivores au moment du passage des journalistes…
Il faut savoir que LEED n’est pas une recette. Mis à part quelques mesures obligatoires, les promoteurs qui désirent obtenir une certification LEED peuvent choisir parmi une panoplie d’éléments qui valent chacun un certain nombre de points et qui sont détaillés dans le « système d’évaluation LEED » (charte des points en vigueur). Pour obtenir une certification LEED de base, il faut atteindre 40 points sur un total potentiel de 110.
Le cas de l’hôtel Palazzo n’est pas unique. En épluchant 7 100 dossiers d’immeubles LEED sur les 13 500 que comptaient les États-Unis l’automne dernier, les journalistes ont pu noter que les mesures les plus faciles et moins coûteuses à implanter étaient très populaires. Par exemple, le fait d’avoir un expert LEED dans l’équipe donnait un point et a été présent dans 99,7 % des dossiers analysés. Pour être un expert, il faut avoir suivi un cours et fait un don de 550 $ à 800 $ à un organisme sans but lucratif créé par l’USGBC (l’United States Green Building Council), l’organisme qui développe la certification. Plus de 90 % des projets ont eu des points pour avoir utilisé des peintures, adhésifs et matériaux de planchers qui émettaient un minimum de contaminants. Des produits et matériaux, précisent les journalistes, qui sont largement utilisés et ajoutent peu de coûts à la construction. À l’inverse, seuls 14 % des immeubles certifiés généraient de l’énergie renouvelable et 12 % avaient mis en place des mesures sévères pour réduire la consommation d’eau comme, par exemple, par le biais d’urinoirs sans eau.

Salle de bain du Palazzo. La pancarte verte sur le comptoir donne des points LEED! (Photo: J. Riopel)
En réponse à ces critiques, les responsables de l’USGBC ont fait valoir que l’objectif de la certification n’était pas de faire dépenser de l’argent, mais de mettre en place des mesures qui offraient de réelles avancées sociales et environnementales. C’est là un bon argument. Mais quand on prend conscience que le Palazzo a eu une importante déduction fiscale pour une certification obtenue par deux points en partie grâce à des mesures faciles, des questionnements sont de mise…
D’autant plus que LEED est une certification a priori! De fait, une certification LEED s’obtient avant qu’un immeuble ne soit utilisé. En pratique, est-ce que les résultats sont là? Les journalistes du USA Today ont épluché quelques études sur le sujet pour conclure… que ce n’est pas clair! Il est apparu que dans certains cas, un immeuble LEED pouvait être plus énergivore qu’un immeuble équivalent, mais non certifié LEED. Toutefois, les limites méthodologiques de chacune des études analysées par les journalistes les ont empêchés de conclure dans un sens ou dans l’autre.
C’est là une critique de fond que l’USGBC souhaite régler dans la prochaine mouture du système d’évaluation LEED qui inclura des obligations de suivi a posteriori. Les nouveaux immeubles LEED devront être équipés d’appareils pour mesurer l’efficacité énergétique et les propriétaires devront s’engager à relever les mesures au minimum chaque mois pendant cinq ans et les transmettre au USGBC. Toutefois, comme l’ont fait remarquer les journalistes du USA Today, ce suivi n’amènera pas une révocation de la certification si les résultats ne sont pas là. De plus, comme l’auteur de ces lignes a pu le constater, dans la dernière version de travail du futur système d’évaluation, l’obligation de suivi tombe s’il y a un changement de propriétaire ou de locataire.
Finalement, les journalistes se sont intéressés au « phénomène » LEED. Malgré sa relative jeunesse (en place officiellement depuis 2000), son expansion fut impressionnante et cette certification influence de plus en plus les politiques publiques de construction alors que les congés fiscaux pour des bâtiments LEED, à l’image du Palazzo, se multiplient aux États-Unis (Los Angeles, Boston…). Les journalistes attribuent ce succès en bonne partie à la formidable machine de lobbying que représente l’USGBC, le membership de l’organisme étant dominé par des représentants du monde des affaires (architectes, ingénieurs, constructeurs…). Les journalistes ont calculé que 89 % des membres votants de cet organisme étaient reliés au monde des affaires. Seulement 1 % était associé à des organismes environnementaux sans but lucratif. Face à cette critique, les responsables du USGBC ont répondu qu’ils étaient dans un processus d’amélioration continue basé sur le consensus et, que dans cette optique, travailler avec l’industrie leur permettait de proposer des mesures qui visaient un juste milieu (sweet spot).
Dans un contexte de changements climatiques, le bois est apparu comme le matériau « vert » par excellence. En théorie, on aurait pu s’attendre à ce que LEED fasse une grande promotion du bois, pourtant… L’utilisation du bois (certifié) vaut actuellement 1 point sur le total potentiel de 110 et c’est la même pondération qui sera gardée dans le futur système d’évaluation. L’acier et le béton sont aussi considérés comme « verts », car ce sont des matériaux recyclables et il est actuellement possible d’aller chercher 2 points pour ce seul aspect. La réutilisation de la structure des bâtiments actuels (souvent en béton et en acier…) donne jusqu’à 3 points. Dans le futur système d’évaluation, la réutilisation des matériaux de la construction existante pourra donner jusqu’à 4 points.
Et c’est là le péril « LEED » pour le bois : qu’une norme « verte », dont les preuves d’efficacité restent à faire et qui ne laisse que peu de place à la promotion du bois, s’impose comme un standard au grand bénéfice de l’acier et du béton. La réflexion au Québec sur l’utilisation du bois dans les constructions non résidentielles devra probablement dépasser le stade d’une Charte du bois si nous souhaitons vraiment faire la promotion de ce matériau.
Note : une période de commentaires du public sur la dernière version de travail du prochain système d’évaluation de LEED se déroulera du 1er au 31 mars. Pour participer.
Articles du dossier du USA Today :
In U.S. Building industry, is it too easy to be green?
‘Green’ growth fuels an entire industry
‘Green’ code under construction
Réponses :
USGBC Statement in Response to USA Today News Article
USA Today Story on LEED Misses the Mark
Pour explorer la bibliothèque des systèmes d’évaluations des points (passés, actuels et futurs)
Monsieur Alvarez,
Vous écrivez sur des enjeux « surtout d’ailleurs ». Tout de même, je m’étonne que nous ne parliez que du système LEED américain.
«… peintures, adhésifs et matériaux de planchers qui émettaient un minimum de contaminants. Des produits et matériaux, précisent les journalistes, qui sont largement utilisés et ajoutent peu de coûts à la construction. » LEED alloue des points pour des choix verts. Pourquoi minimiser la valeur d’un choix parce qu’il n’ajoute pas au coût?
«… un immeuble LEED pouvait être plus énergivore qu’un immeuble équivalent, mais non certifié LEED. » Cette phrase ne veut absolument rien dire. Quelle certification l’immeuble équivalent aurait-il obtenue si les promoteurs avaient choisi de demander la certification?
Le système LEED reconnaît les efforts consentis pour _construire_ un immeuble écoénergétique. Développons un _autre_ système pour la gestion d’un immeuble, ou pour la rénovation d’un immeuble.
L’impact des efforts d’une minorité est ce qu’il y a de plus important dans le « phénomène » LEED. La semaine dernière, un fabricant de cabinets de cuisine m’a dit qu’il était facile maintenant de se procurer un aggloméré sans formaldéhyde ce qui n’était pas le cas quand j’ai construit il y a deux ans.
«… 89 % des membres votants de cet organisme étaient reliés au monde des affaires …» Bravo! L’entreprise privée fait preuve de leadership pour construire écoénergétique. Mais il y a encore beaucoup de chemin à faire. Quelle est la proportion de l’industrie qui construit vert? Je ne sais pas vraiment. J’avancerais moins de cinq pour cent.
J’ai fait certifié ma maison au Québec sous le Système LEED Canada pour les habitations. Pas vraiment le système dont vous parlez, mais tout de même très proche parent. Je n’ai pas pu résister à l’envie de commenter.
http://maisonleedastratfordqc.wordpress.com
M. Gauthier,
Si vous prenez le temps de relire la chronique, vous comprendrez que je m’attardais au dossier particulier du USA Today. Une chronique de blogue n’étant pas une thèse, je m’en suis tenu à ce dossier qui était déjà assez fouillé. Et si j’ai regardé le système d’évaluation de LEED au Canada, les similitudes étaient telles avec la version des États-Unis que cela apportait peu à cette chronique.
Vous citez des critiques de LEED dans ma chronique comme si elles étaient miennes alors que 1- je ne fais que citer les journalistes du USA Today (il me semble que cet aspect était clair) et 2- vous ne citez pas les répliques de représentants de l’USGBC que je cite. À cet égard, comme la réponse officielle de l’USGBC m’apparaissait plutôt faible, j’ai fait une recherche pour en trouver une meilleure. Les liens des deux répliques de l’USGBC sont à la fin de l’article.
Je n’ai pas de problèmes avec le principe d’une certification appuyée par l’industrie. Encore faut-il cependant que l’on ait des preuves de la valeur de cette certification. Dans le cas de LEED, cela semble à l’évidence encore à venir.
Cordialement,
Eric Alvarez