La fin de l’aménagement écosystémique ? Leçons de l’aménagement des forêts nationales américaines
Un des grands principes à la base de l’aménagement écosystémique, soit l’idée de préserver une diversité d’écosystème et d’espèces (principe du filtre brut), est en train de prendre la voie de garage dans la définition des futures règles pour l’aménagement des forêts nationales américaines. Par quoi cela va-t-il être remplacé? Si la discussion est ouverte, les nouveaux mots d’ordre sont : restauration et résilience. En particulier, restauration des écosystèmes dont la dynamique de feu a été altérée et résilience face aux changements climatiques et ses conséquences : épidémies d’insectes plus sévères, sécheresses accrues et autres. Une raison particulière : préserver la qualité de leur eau. Petit retour historique pour comprendre comment le USDA Forest Service en est venu là.
Depuis 1976, les forêts nationales américaines sont aménagées selon les principes du National Forest Management Act (NFMA). Le NFMA émet les grands principes. C’est à l’échelle en-dessous, soit lors de l’établissement des planning rules, que le USDA Forest Service spécifie les règles et principes à appliquer à la production des plans d’aménagement des 155 forêts nationales américaines couvrant 78 millions d’hectares (193 millions d’acres). Les premières planning rules datent de 1979 mais ce sont celles de 1982 qui servent de principal point de référence car elles ont été utilisées pour la production des plans entre 1983 et 1993. En 1989, une Critique (en majuscule dans leur texte) de ces planning rules réalisée par le USDA Forest Service a conclu qu’elles étaient très longues et complexes à appliquer en plus d’être très coûteuses. Dans son ensemble le processus de production des plans était très « lourd » (cumbersome). Après quelques propositions, de nouvelles planning rules furent émises en 2000 mais l’année suivante le USDA Forest Service (lui-même !) posa le même constat : le processus était trop complexe, lourd et coûteux. C’est en 2005 que finalement une nouvelle révision fut proposée mais, contestée avec succès devant une cour, il y eut des ajustements en 2007 (battus en cour) et finalement en 2008. Cette dernière version des planning rules, qui se voulait une version finale fut annulée (vacated) en cour le 30 juin 2009. Le gouvernement a alors rapidement décidé de ne pas contester cette dernière décision et de regarder vers une nouvelle direction : la restauration et le résilience des écosystèmes. Il faut les comprendre : 68 de leurs 127 plans sont déjà en retard dans leur révision, qui peut prendre de 8 à 10 ans, et cette décision vient bloquer le processus.
Pour quelle raison furent invalidées les planning rules de 2008? Fondamentalement, car l’approche visant à maintenir une variabilité d’écosystèmes présente depuis 2000 fut considérée inférieure d’un point de vue environnemental aux règles de 1982 qui spécifiaient clairement le maintien de la viabilité des espèces animales et fauniques. Il était alors clairement spécifié qu’il fallait assurer l’existence perpétuelle de ces espèces. Depuis 2000, selon une approche de filtre brut, le USDA Forest Service visait plutôt le maintien de conditions écologiques qui elles devaient assurer une haute probabilité du maintien des espèces animales et aquatiques. Or, la juge a estimé que le USDA Forest Service a manqué à son obligation de vérifier les impacts du retrait du principe de maintien de la viabilité des espèces au profit d’une approche écosystémique qui se voulait une stratégie indirecte de maintien des espèces. Aucune preuve n’ayant été apportée quant à l’efficacité de cette dernière approche sur la protection des espèces animales et aquatiques, la juge l’a invalidée. Une décision avalisée par le gouvernement américain et conséquemment par le USDA Forest Service.
Ici, le Québec a choisi de mettre l’aménagement écosystémique au coeur de sa politique d’aménagement des forêts publiques. Sommes-nous sur la bonne voie? L’ancien directeur du Centre d’étude sur la Forêt (entre autres titres…) et chercheur Christian Messier a tourné la page sur l’aménagement écosystémique pour justement embrasser une approche basée sur la résilience des écosystèmes. Personnellement, je ne crois que pas que nous changerons de paradigme demain matin… mais il y a de bonnes chances que ce soit après-demain! De fait, il est difficile d’imaginer qu’un concept pour lequel il y a des visions bien différentes puisse survivre très longtemps au test de la réalité. En l’espace de six mois, le Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) a d’ailleurs modifié de façon très substantielle la définition de l’aménagement écosystémique dans la nouvelle loi sur l’aménagement durable des forêts. Comment appliquer et juger du succès ou de l’échec d’un concept dont on peut avoir des visions si différentes?
Le changement de paradigme dans l’aménagement des forêts nationales américaines qui s’est opéré aux États-Unis suite au jugement de 2009 est majeur et va assurément avoir des impacts sur le regard qu’ils vont porter sur la forêt. Si l’approche écosystémique impliquait de regarder dans le passé, celle de la « restauration et résilience » implique plus de regarder le présent et dans l’avenir afin de l’anticiper. Non pas que je ne crois pas qu’ils n’auront plus besoin du passé! Toutefois, ils vont potentiellement le regarder dans une approche plus dynamique que l’approche figée et parfois dogmatique des portraits préindustriels. On peut s’attendre, espérer oserai-je, que l’histoire soit pleinement intégrée dans la dynamique des écosystèmes forestiers sans être pour autant la référence qu’il faille nécessairement atteindre.
Finalement, s’il y a une autre leçon à tirer de l’expérience de l’aménagement de forêt publiques, c’est sa complexité. Malgré tout le travail fait par le USDA Forest Service depuis plus d’une décennie pour réviser ses planning rules, il va finalement réviser ses plans d’aménagement avec les règles de 2000 (celles officiellement en vigueur depuis le jugement de 2009) qui permettent d’utiliser celles de 1982. Dans les faits, ce sont ces dernières qui vont être appliquées car le USDA Forest service juge lui-même impossible à appliquer celles de 2000!
Avec la reprise en main par le MRNF des activités de planification et l’encadrement d’à peu près tout ce qui se fait dans l’aménagement des forêts publiques, le Ministère se retrouve pleinement face à cette complexité sociale, écologique et économique. Car ne l’oublions pas, s’il ne se coupe presque plus de bois dans les forêts nationales américaines, elles ne représentent que 20% des forêts américaines. Les coupes se font en forêt privée. Avec nos 90% en forêts publiques, le MRNF s’est donné un mandat titanesque dont il porte seul la responsabilité et, si on se fie à l’exemple de nos voisins du sud, l’aménagement écosystémique ne sera pas la solution.
Références : Histoire des Planning rules (USDA Forest Service) – Vous y trouverez toutes les références utilisées. Si vous ne deviez en lire qu’une, lisez la décision de la cour de 2009 (26 pages). Vous y retrouverez un historique de l’aménagement et des causes légales qui ont entouré l’aménagement des forêts publiques américaines dans les dernières années. The Forestry Source (août 2009): en première page, l’article qui m’a mis sur la piste de ce dossier.
Crédits photos : Forest Service, USDA (historical photos)
Une approche figée et parfois dogmatique des portraits préindustriels… Hum.. terrifiant ! Ces stupéfiants le manque de profondeur de certains portraits… Je comprends qu’il fallait faire un premier pas, mais beaucoup s’arrêtent là.
Mais les américains ne font-ils pas fausse route (le bébé avec l’eau) en rejetant un filtre brut ?
Ma prochaine chronique (demain) répondra à cette question : )