Des communautés adaptées au feu: des Autochtones à aujourd’hui
J’ai deux plaisirs bien particuliers à animer ce blogue. Le premier est de découvrir des enjeux d’aménagement dont je n’imaginais même pas l’existence lors de sa genèse. Le deuxième est d’incorporer un enjeu avec une ou plusieurs de mes précédentes chroniques de telle façon qu’il forme un «tout» avec le blogue. Chose rare, cette chronique m’aura permis de combiner ces deux plaisirs! Je vous invite donc à découvrir cette petite chronique «bonheur».
L’enjeu que j’ai découvert: la wildland-urban interface aux États-Unis. C’est à la base un effet de l’étalement urbain qui se trouve à empiéter sur les forêts et à les fragmenter. Rien de bien neuf me direz-vous. Toutefois, tellement de communautés se sont créées aux abords des forêts que le USDA Forest Service a mis en place un programme intitulé Forests on the Edge qui vise à amener tant les individus que les différents paliers de gouvernement à être conscients des enjeux associés à ce milieu de vie et, pourrait-on dire, cet écosystème bien particulier. La Figure ci-dessous permet de visualiser schématiquement à quoi il est fait référence par la wildland-urban interface.
Quelques chiffres sont aussi nécessaires pour comprendre l’intérêt du USDA Forest Service de développer une réflexion d’ensemble pour cet écosystème. Ces chiffres sont tirés du tout premier rapport publié en 2005 dans le cadre du programme Forests on the Edge et intitulé (à juste titre…) Forests on the edge: housing development on America’s private forests.
Entre 1982 et 1997, 4,2 millions d’hectares de forêts presque essentiellement privées ont été converties en milieux urbains ou «développments» au sens large, soit une moyenne de près de 300 000 hectares/an. Et, fait à noter, cette tendance était en augmentation alors que pour la période 1992 à 1997, la moyenne annuelle du taux de conversion des forêts s’établissait à un peu plus de 400 000 hectares/an. Une modélisation des perspectives a amené les auteurs à conclure que d’ici 2030, près de 18 millions d’hectares de forêt privée (11% du total) pourraient se voir en partie convertis par l’accroissement du développement résidentiel.
On retrouve à cette interface de nombreux enjeux d’aménagement (qualité de l’eau, biodiversité, incendies forestiers…). Pour cette chronique, je ne vais cependant m’attarder qu’à l’enjeu des incendies forestiers qui est l’objet du plus récent rapport (2013, Wildfires, Wildlands, and People: Understanding and preparing for wildfire in the wildland-urban interface) issu du programme Forests on the Edge.
Appelons cela la collision des enjeux. Si d’un côté la population des États-Unis a de plus en plus tendance à vouloir rapprocher sa demeure de la forêt (en 2005, un tiers des habitations —maisons, condominiums, etc.— étaient dans la wildland-urban interface), la forêt a de plus en plus tendance à brûler et de plus en plus sévèrement! Considérant, comme nous l’apprend le rapport, que le feu joue un rôle écologique dans 94% des wildlands aux États-Unis (Alaska et Hawaï non compris), les probabilités qu’il y ait un incendie forestier dans la wildland-urban interface sont donc très grandes. Les effets de cette proximité entre la forêt et le milieu urbain sont d’ailleurs déjà bien évidents sur le terrain comme on peut le voir à la Figure ci-dessous qui montre les infrastructures brûlées pendant la période 1999-2011.
Or, dans un contexte de restrictions budgétaires pour combattre les feux, il est apparu que la meilleure stratégie pour assurer la sécurité des communautés dans la wildland-urban interface était qu’elles se prennent en main (avec l’appui de différentes agences gouvernementales). De cette stratégie sont nées les fire-adapted communities. L’objectif étant que ces communautés puissent vivre en sécurité dans un milieu où le feu joue un rôle écologique. Pour cela, les efforts sont avant tout mis à diminuer les risques d’incendie et leur propagation par le biais d’une multitude d’approches comme l’éducation (cigarette…), la construction avec des matériaux résistants aux feux, la diminution de la végétation autour des habitations et, plus largement, la diminution du matériel inflammable dans les forêts avoisinantes.
Et c’est là mon deuxième petit plaisir, c’est qu’il y a un lien direct à faire entre ces nouvelles communautés qui ont à apprendre à vivre avec le feu et, comme je l’ai déjà abordé, les communautés autochtones qui ont appris à vivre avec le feu depuis bien longtemps. Malheureusement, tant le USDA Forest Service que le Department of Interior (lui aussi responsable de forêts) mettent beaucoup d’efforts à documenter l’efficacité des mesures de diminution du matériel inflammable dans la wildland-urban interface sans que les Autochtones ne semblent entrer dans la réflexion.
Le tout récent (mai 2013) rapport publié par une équipe coordonnée par des chercheurs de la Northern Arizona University pour le compte du Department of Interior est d’ailleurs quelque peu choquant à cet égard. En 2011, un feu (Wallow fire) a couvert 2 200 km2 en Arizona. Il a brûlé dans la Forêt nationale Apache-Sietgraves avant d’être stoppé dans la Réserve amérindienne voisine de Fort Apache. Ces derniers entretiennent depuis des décennies leurs forêts en les éclaircissant pour se prémunir contre les feux… et ça a marché (chronique)! Mais il n’y a pas un mot de ce fait documenté dans le rapport universitaire. Pire, il est seulement fait référence aux expériences (réussies) de diminution du matériel inflammable dans la Forêt nationale Apache-Sietgraves.
Je préfère toutefois retenir les côtés positifs de cet enjeu. Certes, il y a des pertes en superficie forestière, mais les anciens «urbains» qui s’installent dans la wildland-urban interface deviennent partie prenante de l’aménagement de la forêt. Rapprocher les citoyens des enjeux d’aménagement forestier et accroître leur culture dans ce domaine représente assurément une avancée. Et qui sait, peut-être finiront-ils par demander conseil aux Autochtones et ainsi bâtir des liens par le biais de l’aménagement forestier!