Le dendroctone du pin ponderosa: où s’arrêteront ses impacts?
Le dendroctone du pin ponderosa (mountain pine beetle) est un insecte indigène dans les forêts de Colombie-Britannique. Si ces forêts sont donc adaptées à la présence de cet insecte, une combinaison de facteurs (hiver doux, présence de grands massifs matures dus à la suppression des feux) lui a permis d’atteindre dans la dernière décennie des proportions épidémiques sans précédent. La plus récente estimation fait état de pertes de 726 millions de m3 de pin tordu latifolié (lodgepole pine). Pour mettre ce chiffre en perspective, au Québec la possibilité forestière des résineux pour la saison 2013-2014 est de 19,3 millions de m3. Transposées au Québec, les pertes en Colombie-Britannique équivalent donc à près de 40 ans de récolte à rendement soutenu.
Naturellement, tant le gouvernement britanno-colombien que l’industrie forestière souhaitent limiter autant que possible les pertes. C’est pourquoi dans les trois « Unités d’aménagement » (Timber Supply Areas – TSAs) les plus touchées (aux alentours de Prince George, au centre de la province), la possibilité forestière a été augmentée de 80 % afin de récolter les arbres pendant qu’ils ont encore un potentiel commercial. Vous pouvez imaginer qu’un accroissement aussi important de la récolte ne va pas sans « bousculer » le milieu forestier, tant d’un point de vue social que biologique. Et si jusqu’à présent les manchettes étaient surtout consacrées aux impacts du dendroctone, en décembre dernier le Vancouver Sun a publié un dossier en plusieurs articles sur les impacts des coupes de récupération (récolte des arbres morts ou dépérissants). Un dossier qui a fait mouche, car le ministre des Forêts, Terres et Ressources naturelles de la Colombie-Britannique s’est senti dans l’obligation d’envoyer une réponse. Petit résumé.
On peut facilement imaginer Richard Desjardins promener sa caméra sur le problème le plus « frappant » des coupes de récupération : leur dimension. Le Forest Practice Board, un organisme indépendant britanno-colombien qui agit comme chien de garde pour tout ce qui a trait à l’aménagement des forêts publiques, a publié en 2009 un rapport sur le sujet (note : le Forest Practice Board n’a pas d’équivalent au Québec; c’est une forme de Vérificateur général de l’aménagement des forêts qui peut auditer aussi bien l’industrie que le gouvernement. Ses rapports et recommandations n’ont pas force de loi, mais ont un poids « moral » important). Le rapport fait en particulier état de sept agglomérations de coupes totalisant chacune plus de 10 000 hectares (100 km2).
On parle bien de « totalisant ». Le rapport a fait un bilan basé sur l’accumulation de coupes adjacentes dans les trente dernières années dans les trois TSAs où l’augmentation de la possibilité a été la plus importante. Et le problème, au-delà de l’aspect visuel, est lié à des questions de maintien de la biodiversité, car peu d’arbres ou de zones boisées ont été conservés. M. Phil Burton, un spécialiste des coupes de récupération au Service Canadien des Forêts, a imagé la situation au bénéfice du Vancouver Sun en mentionnant que les zones récoltées sont devenues des milieux idéaux pour tout animal se nourrissant d’herbe. Par contre, un oiseau de proie aurait de la difficulté à trouver un perchoir!
Le Forest Practice Board avait déjà émis un avis en 2004 en lien avec ce problème de manque de rétention de zones boisées dans les coupes de récupération. Cela avait été suivi en 2005 par des recommandations (elles n’avaient pas force de loi) du Forestier en chef de la province sur le degré de rétention dans les parterres de coupes. Sa philosophie : la récolte augmentant, les mesures de protection devaient elles aussi augmenter. S’il souhaitait que la rétention de zones boisées non coupées soit d’au moins 10 % pour les parterres de coupe de moins de 50 hectares, cette proportion augmentait à 25 % pour les coupes plus grandes que 1000 hectares. Ces suggestions étaient supérieures à des règles déjà en vigueur. Aussi, il souhaitait qu’une coordination soit mise en place entre les compagnies forestières pour que les coupes se fassent dans une vision d’ensemble.
Dans son rapport de 2009, le Forest Practice Board a vérifié si les professionnels forestiers avaient suivi ces recommandations. La réponse : globalement « oui ». Dans les plus petits parterres de coupe, les forestiers ont très bien respecté l’avis du Forestier en chef (ce dernier est lui aussi globalement satisfait). C’est lorsque l’on regarde à l’échelle du paysage, à l’échelle de l’agglomération des coupes, qu’il y a des problèmes.
Un premier problème vient du fait qu’avant 1996, il n’y avait aucune règle sur le maintien de zones boisées dans les parterres de coupe. Les coupes les plus récentes, qui respectent l’avis du Forestier en chef, sont donc minoritaires dans le grand ensemble des trente dernières années. Aussi, et c’est un problème de base, chaque compagnie bénéficiaire d’un permis de récolte est libre de faire sa planification à l’échelle du paysage. Il n’y a pas de planification d’ensemble à l’échelle d’une TSA et les voeux de 2005 du Forestier en chef pour une meilleure coordination entre entreprises sont restés des voeux… pieux. Les agglomérations de coupes de plus de 10 000 hectares sont donc le résultat d’une série de décisions individuelles, accélérées dans les dernières années par les coupes de récupération des arbres tués par le dendroctone du pin ponderosa.
Si ce manque de planification d’ensemble de l’industrie forestière a potentiellement un impact sur la biodiversité, il en a aussi sur les autres entrepreneurs liés à la forêt, particulièrement ceux qui gagnent leur vie avec l’écotourisme. Le cas sur lequel s’est attardé le Vancouver Sun est très parlant. Il s’agit d’une immigrante anglaise qui décida d’abandonner une carrière très rémunératrice au Royaume-Uni pour acheter un ranch en Colombie-Britannique. Alors qu’elle vend à sa clientèle une expérience « authentique » en forêt, les coupes de récupération sont en train de détruire le paysage de ses sentiers de randonnée à cheval et des sentiers sont eux-mêmes obstrués par des débris de coupe. Finalement, plutôt qu’une expérience en forêt discontinue, ses clients se retrouvent devant une étendue quasi désertique. Elle-même décrit la situation comme un « Armageddon ». À l’exception d’une compagnie forestière qui accorde une grande importance à ses préoccupations, elle ne voit pas comment son entreprise d’écotourisme va pouvoir survivre si les autres forestières continuent à agir comme si son entreprise n’existait pas.
Les entreprises forestières sont tenues de consulter les autres utilisateurs du territoire en vertu du Forest and Range Practice Act. Toutefois, à la lecture de ce dernier document et des échos du terrain, on est loin des Tables de gestion intégrée que l’on peut retrouver au Québec.
Peut-être moins attendu, un autre problème sur lequel s’est penché le Vancouver Sun est celui des inondations suite aux coupes de récupération. Même si les arbres sont mourants, ils retiennent de la neige et atténuent le rythme de la fonte au printemps. Or, en coupant tous les arbres dépérissants dans un bassin versant, ainsi que les autres essences non atteintes par le dendroctone (un autre sujet à débat…), les coupes de récupération accroissent les risques d’inondations en plus de potentiellement nuire aux routes forestières et aux sites de fraie dû à une sédimentation accrue (entre autres problèmes). La logique derrière cette récolte intensive est d’accélérer la vitesse à laquelle une nouvelle forêt va remplacer celle qui est en train de mourir. Mais si les forestiers peuvent se permettre le pari du « prenons des risques à court terme au bénéfice du long terme », les propriétaires de ranchs, qui semblent les plus touchés par les inondations (champs inondés…), apprécient moins. Pour eux, le court terme, c’est important. C’est leur gagne-pain.
Tout n’est pas noir. La forêt repousse sous les arbres morts et en bien des endroits la faune est bien présente. Toutefois, l’énorme mortalité causée par le dendroctone du pin ponderosa est en train de complètement bousculer le monde forestier en Colombie-Britannique. M. Burton estime qu’il faut s’attendre à de plus en plus de « catastrophes » naturelles et qu’il faut cesser de voir l’écosystème forestier comme un «portefeuille d’investissement» et plus comme un «portefeuille d’écosystèmes». En ce sens, il faut apprendre à anticiper les « catastrophes », pas seulement être en mode réactif.
Le dendroctone a traversé les Rocheuses et se dirige tranquillement vers l’est en se nourrissant de pin gris. Au Québec, il pourrait bénéficier de la présence de 200 millions de m3 de pin gris, ce qui est appréciable malgré que ce ne soit « que » 6,4 % du volume de bois sur pied accessible (Ressources et industries forestières – chap. 2). S’il devait se mêler à l’épidémie de tordeuse des bourgeons de l’épinette qui commence à montrer le bout de son nez au Québec, cela s’avèrerait tout un test pour les aménagistes de la prochaine politique forestière! Mais avant d’envisager cette situation, la Colombie-Britannique nous offre immédiatement l’opportunité de réfléchir à une apporche de calcul de la possibilité forestière dans un contexte de changement climatique. Comme l’a souligné un observateur en Colombie-Britannique, le rendement soutenu a été « jeté par la fenêtre » dans la foulée de cette épidémie stimulée justement par les changements climatiques. Au Québec, ce n’est qu’en 2018 qu’une approche différente du rendement soutenu « strict » tel qu’on l’utilise devrait entrer en vigueur. Faudrait-il viser plus tôt pour éviter de se faire forcer la main?
Références : les articles du Vancouver Sun
– Dead pine forests very much alive
– A flood of problems for ranchers
– B.C ecotourism at the mercy of salvage-logging-free-for-all
– Forestry’s « perfect storm »
– La réponse du ministre (B.C. is aggressively managing pine beetle effect)
Sur le même thème : ma toute première chronique! (Géopolitique du dendroctone du pin)