Faut-il s’inquiéter de la fin du rendement soutenu ?
Le rendement soutenu est mort, à tout le moins au Québec. Il nous a quittés le 1er avril dernier et, à ma grande surprise, son départ est totalement passé inaperçu. Il faut dire qu’il n’y avait pas d’effet de surprise, car sa fin avait été annoncée à l’article 48 de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier adoptée en 2010. J’en reproduis ci-dessous des extraits, en faisant ressortir les termes-clés témoignant de sa disparition :
48. Les possibilités forestières déterminées par le forestier en chef à l’égard des activités d’aménagement forestier antérieures au 1er avril 2018 sont des possibilités annuelles de coupe à rendement soutenu. Elles correspondent, pour une unité d’aménagement ou une forêt de proximité donnée, au volume maximum des récoltes annuelles de bois par essence ou groupe d’essence que l’on peut prélever à perpétuité (…)
Les possibilités forestières déterminées par le forestier en chef à l’égard des activités d’aménagement forestier postérieures au 31 mars 2018 correspondent, pour une unité d’aménagement ou une forêt de proximité donnée, au volume maximum des récoltes annuelles de bois par essence ou groupe d’essences que l’on peut prélever tout en assurant le renouvellement et l’évolution de la forêt sur la base des objectifs d’aménagement durable des forêts applicables (…)
Comme on peut le noter, l’idée de « perpétuité » a été retirée. Cela ne rend ma surprise que plus grande que personne n’ait publiquement soulevé la question des conséquences de cette évolution pour l’aménagement de nos forêts publiques ! Ce sera donc le sujet de cette première chronique de l’année.
Tout d’abord, il convient de ne pas paniquer ! Il est évident que nous ne sommes pas passés de l’idée de « perpétuité » à celle de « laisser-aller » 🙂
Sous l’angle « philosophie d’aménagement », cette évolution a cependant pour conséquence qu’il devient très difficile pour le commun des mortels de poser un jugement sur une possible surexploitation.
Le rendement soutenu a fait l’objet de très nombreuses critiques au fil des ans. Plusieurs bien justifiées. Mais il a une grande qualité, celle qui lui a certainement permis de rester dans le paysage forestier depuis les débuts de la foresterie scientifique au 18e siècle: il est facile à interpréter. Si vous dépassez le rendement soutenu, vous êtes en situation de surexploitation. On peut certes argumenter plusieurs « oui, mais… », mais (justement) sans rendement soutenu il n’y aurait pas eu de constat de surexploitation par la Commission Coulombe (à tout le moins, l’argumentaire aurait été plus difficile à établir).
C’est là toute la différence entre évaluer le volume de bois que l’on peut prélever « à perpétuité » et celui que l’on peut prélever « tout en assurant le renouvellement et l’évolution de la forêt sur la base des objectifs d’aménagement durable des forêts applicables ». Cette dernière philosophie, mise en application pour les plus récents (2018-2023) calculs des possibilités forestières, est beaucoup moins claire à interpréter. Pour poser un jugement, il faut entrer dans la mécanique mise en place par le Bureau du Forestier en chef (BFEC). Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Mais qu’en est-il justement des résultats de ces calculs ?
Une image valant bien des mots, dans la Figure ci-dessous j’ai mis en parallèle les résultats des calculs des possibilités forestières des deux plus récentes périodes de calculs (2015-2018, 2018-2023) avec la récolte des 50 dernières années en forêts publiques.

Récolte en forêts publiques au Québec entre 1965 et 2016 avec superposition des possibilités forestières nettes pour 2015-2018 et 2018-2023 (sources : Rapports annuels du ministère des Terres et Forêts et Ressources et Industries forestières du Québec — Portraits statistiques)
Un premier constat est que l’augmentation (5 %) des possibilités forestières pour la plus récente période par rapport à la précédente reste très modérée. D’autant plus que cette augmentation de 5 % ne tient pas compte d’une réserve pour l’application de mesures liées à la certification FSC (-1,6 %). Aussi, selon un Avis récent du BFEC, entre 2000 et 2018 les possibilités forestières ont diminué de 22 %. À défaut de pouvoir facilement interpréter les plus récents résultats, on reste donc dans des valeurs assez conservatrices.
Un autre constat est que sous l’angle de la récolte, on a très peu de soucis à se faire. Malgré une hausse récente, elle reste à bonne distance du niveau des possibilités forestières à rendement soutenu de la période 2015-2018. À cela il faut ajouter que la crise de 2008 a diminué la main-d’œuvre dans l’industrie forestière de 100 000 à 60 000-70 000 employés (selon les chiffres qui circulent le plus). Tant bien même les conditions du marché le permettaient, l’atteinte des sommets de récolte de la décennie 1995-2005 apparait donc improbable. Il est ici bon de noter que ces sommets, qui ont stimulé les craintes de surexploitation, sont dans l’ordre de grandeur des plus récentes possibilités.
Pour conclure, si l’on peut se surprendre que personne n’ait soulevé ce passage du « rendement soutenu » vers la nouvelle approche de calcul des possibilités forestières (aucun nom ne semble avoir été retenu), il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure. De plus, à défaut de pouvoir bien comprendre tous les tenants et aboutissants des calculs, il sera toujours possible de faire appel à une perspective historique pour poser un jugement.
Pour plus de détails sur les résultats des possibilités forestières 2018-2023:
La fiche de la synthèse provinciale mise-à-jour en mars 2018